mercredi 2 mai 2012

UN TUEUR DE LIONS


Tartarin de Tarascon est venu en Algérie pour chasser le lion. Il se rend dans le Sud en diligence. En cours de route s’installe à côté de lui un vieux monsieur. Il est fort surpris par le matériel de Tartarin qu’il regarde longuement.

 On détela, on attela, la diligence partit…Le petit monsieur regardait toujours Tartarin…A la fin, le Tarasconnais prit la mouche.

« Ça vous étonne ? » fit-il en regardant à son tour le petit monsieur bien en face. « Non ! Ça me gêne » répondit l’autre fort tranquillement, et le fait est qu’avec sa tente-abri, son revolver, ses deux fusils dans leur gaine, son couteau de chasse _ sans parler de sa corpulence naturelle, _ Tartarin de Tarascon tenait beaucoup de place…

La réponse du petit monsieur le fâcha :

« Vous imaginer-vous par hasard que je vais aller au lion avec votre parapluie ? » dit le grand homme fièrement.

Le petit regarda son parapluie et sourit :

« Alors, monsieur, vous êtes… ?

_ Tartarin de Tarascon, tueur de lion !... »

Il y eut dans la diligence un mouvement de stupeur…

Le petit monsieur, lui, ne se déconnectera pas.

« Est-ce  que vous avez déjà tué beaucoup de lions, monsieur Tartarin ? » demanda-t-il très tranquillement.

Le Tarasconnais le reçut de la belle manière :

« Si j’en ai beaucoup tué, monsieur !... Je vous souhaiterais d’avoir seulement autant de cheveux sur la tête. »

Et toute la diligence de rire en regardant les trois cheveux jaunes qui se hérissait sur le crâne du petit monsieur.

 A son tour, le photographe d’Orléans ville prit la parole : « Terrible profession que la vôtre, monsieur Tartarin !... On passe quelquefois de mauvais moments… Ainsi ce pauvre M. Bombonnel…

_ Ah ! Oui, le tueur de panthères…, fit Tartarin assez dédaigneusement.

_ Est-ce que vous le connaissez ? demanda le petit monsieur.

_ Té ! Pardi… Si je le connais… Nous avons chassé plus de vingt fois ensemble. »

Le petit monsieur sourit : «  Vous chassez donc la panthère aussi, monsieur Tartarin ?

_ Quelques fois, par passe temps… » Fit l’enragé Tarasconnais…

La diligence s’arrêta, le conducteur vint ouvrir la portière et s’adressant au petit vieux : « Vous voilà arrivé, monsieur », lui dit-il d’un air très respectueux. Le petit monsieur se leva, descendit, puis avant de refermer la portière : «  Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil, monsieur Tartarin ?

_ Lequel, monsieur ?

_ Ma foi ! Écoutez, vous avez l’air d’un brave homme, j’aime mieux vous dire ce qu’il en est… Retournez vite à Tarascon, monsieur Tartarin…Vous perdez votre temps ici… Il reste bien encore quelques panthères dans la province ; mais, fi donc ! C’est un trop petit gibier pour vous…

Quand aux lions, c’est fini. Il n’en reste plus en Algérie… »

Sur quoi le petit monsieur salua, ferma la portière, et s’en alla en riant avec sa serviette et son parapluie.

« Conducteur, demanda Tartarin en faisant sa moue, qu’est-ce que c’est donc que ce bonhomme-là ?

_ Comment ! Vous ne le connaissez pas ? Mais c’est monsieur Bombonnel. »



                           A. DAUDET

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