Tartarin de Tarascon
est venu en Algérie pour chasser le lion. Il se rend dans le Sud en diligence. En
cours de route s’installe à côté de lui un vieux monsieur. Il est fort surpris
par le matériel de Tartarin qu’il regarde longuement.
On détela, on attela, la diligence partit…Le
petit monsieur regardait toujours Tartarin…A la fin, le Tarasconnais prit la
mouche.
« Ça vous
étonne ? » fit-il en regardant à son tour le petit monsieur bien en
face. « Non ! Ça me gêne » répondit l’autre fort
tranquillement, et le fait est qu’avec sa tente-abri, son revolver, ses deux
fusils dans leur gaine, son couteau de chasse _ sans parler de sa corpulence
naturelle, _ Tartarin de Tarascon tenait beaucoup de place…
La réponse du petit
monsieur le fâcha :
« Vous
imaginer-vous par hasard que je vais aller au lion avec votre parapluie ? »
dit le grand homme fièrement.
Le petit regarda son
parapluie et sourit :
« Alors,
monsieur, vous êtes… ?
_ Tartarin de Tarascon,
tueur de lion !... »
Il y eut dans la
diligence un mouvement de stupeur…
Le petit monsieur,
lui, ne se déconnectera pas.
« Est-ce que vous avez déjà tué beaucoup de lions,
monsieur Tartarin ? » demanda-t-il très tranquillement.
Le Tarasconnais le
reçut de la belle manière :
« Si j’en ai
beaucoup tué, monsieur !... Je vous souhaiterais d’avoir seulement autant
de cheveux sur la tête. »
Et toute la
diligence de rire en regardant les trois cheveux jaunes qui se hérissait sur le
crâne du petit monsieur.
A son tour, le photographe d’Orléans ville
prit la parole : « Terrible profession que la vôtre, monsieur
Tartarin !... On passe quelquefois de mauvais moments… Ainsi ce pauvre M.
Bombonnel…
_ Ah ! Oui, le
tueur de panthères…, fit Tartarin assez dédaigneusement.
_ Est-ce que vous le
connaissez ? demanda le petit monsieur.
_ Té ! Pardi…
Si je le connais… Nous avons chassé plus de vingt fois ensemble. »
Le petit monsieur
sourit : « Vous chassez donc la panthère aussi, monsieur
Tartarin ?
_ Quelques fois, par
passe temps… » Fit l’enragé Tarasconnais…
La diligence s’arrêta,
le conducteur vint ouvrir la portière et s’adressant au petit vieux : « Vous
voilà arrivé, monsieur », lui dit-il d’un air très respectueux. Le petit
monsieur se leva, descendit, puis avant de refermer la portière : «
Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil, monsieur Tartarin ?
_ Lequel, monsieur ?
_ Ma foi ! Écoutez,
vous avez l’air d’un brave homme, j’aime mieux vous dire ce qu’il en est…
Retournez vite à Tarascon, monsieur Tartarin…Vous perdez votre temps ici… Il
reste bien encore quelques panthères dans la province ; mais, fi donc !
C’est un trop petit gibier pour vous…
Quand aux lions, c’est
fini. Il n’en reste plus en Algérie… »
Sur quoi le petit
monsieur salua, ferma la portière, et s’en alla en riant avec sa serviette et
son parapluie.
« Conducteur,
demanda Tartarin en faisant sa moue, qu’est-ce que c’est donc que ce
bonhomme-là ?
_ Comment !
Vous ne le connaissez pas ? Mais c’est monsieur Bombonnel. »
A. DAUDET
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