Oh ! Ce premier coup de feu en forêt, ce coup de feu qui
trouait les feuilles comme une grêle d’avril et marquait les écorces, jamais je
ne l’oublierai. Un lapin détala, au travers du chemin en arrachant des touffes
d’herbes avec ses griffes tendues. Un écureuil dégringola d’un châtaignier en
faisant tomber les châtaignes encore vertes. Il y eut deux ou trois vols lourds
de gros faisans et un tumulte dans les branches basses, les feuilles sèches, au
vent de ce coup de fusil qui agita, réveilla, effraya tout ce qui vivait dans
le bois…
Les vieux, lui, était toujours aussi calme. Très attentif aux
aboiements et aux coups de feu, quand ils se rapprochaient, il me faisait signe,
et nous allions un peu plus loin, hors de la portée des chiens et bien cachés
par le feuillage. Une fois pourtant je crus que nous étions perdus. L’allée que
nous devions traverser était gardée de chaque bout par un chasseur embusqué. D’un
côté un grand gaillard à favoris noirs qui faisait sonner toute une ferraille à
chacun de ses mouvements, couteau de chasse, cartouchière, boîte à poudre, sans
compter de hautes guêtres bouclées jusqu’aux genoux et qui le grandissaient encore ;
à l’autre bout un petit vieux, appuyé contre un arbre, fumait tranquillement sa
pipe, en clignant des yeux comme s’il voulait dormir, celui-là ne me faisait
pas peur ; mais c’était ce grand là-bas…
« Tu n’y entends rien, Rouget », me dit mon camarade en
riant.
Et sans crainte, les ailes toutes grandes, il s’envola presque dans
les jambes du terrible chasseur à favoris.
El le fait est que le pauvre homme était si empêtre dans tout son
attirait de chasse, si occupé à s’admirer de haut en bas, que lorsqu’il épaula
son fusil, nous étions déjà hors de portée.
Ah ! Si les chasseurs savaient, quand ils se croient seuls à
un coin de bois, combien de petits yeux fixes les guettent des buissons,
combien de petits becs pointus se retiennent de rire à leur maladresse !
ALPHONSE DAUDET
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire