… Comme
nous venions de traverser le grand plateau solitaire d’El Hajeb se découvrit à
nos yeux un paysage d’une grandeur singulière, tel que sans doute la nature
n’en a pas fait deux pareils.
Devant nous
s’étendaient les premières pentes de l’Atlas, couvertes de leurs forêts de
cèdres, et à nos pieds, une dépression profonde, hérissée de choses bleuâtres,
de milliers de petites collines pointues…Et roulant, cahotant, bondissant dans
ces pierrailles, bientôt nous arrivons à la forêt de cèdres.
Dès qu’un
entre parmi ces arbres, qui dépassent en magnificence tous les arbres de nos
bois, on a l’impression d’avoir soudain rapetissé, d’être devenu lilliputien,
de pénétrer dans un règne de la nature ou tout est de proportion plus vastes,
ou la vie des hommes, des animaux et des plantes a plus de force que de durée.
Tandis que nos grandes futaies nous accablent de leur ombre et de leur
mélancolie, ici au contraire la forêt, aérée et lumineuse, respire moins le
mystère de la légende que la sérénité des hautes pensées claires.
Au dessus
d’une brousse épaisse de thuyas et de chênes verts, les troncs énormes
largement espacés, portent leurs ramures étagées comme les gradins d’une
immense architecture végétale. Chaque arbre, royalement isolé dans un domaine
qui n’appartient qu’à lui, fait songer à quelque palais d’été aux multiples
terrasses superposées et verdoyantes. Les uns s’achèvent en pyramide de
quarante mètres de hauteur. D’autres, plus étonnants encore, sans aucune
verdure sur leurs branches, se dressent comme de grands cadavres d’une
blancheur sépulcrale…La plupart ont
succombé à la vieillesse ; beaucoup aussi ont été les victimes d’un drame
fréquent dans ces forêts. Pour abattre ces colosses qui atteignent cinq ou six
mètres de tour, c’est l’habitude des bûcherons, de mettre le feu à leur pied.
Il n’est pas rare qu’on brûle la moitié de ces arbres magnifiques, la plus
puissante, la plus belle, afin d’avoir l’autre moitié…
…Ici la
forêt vit. Elle meurt et renaît sans cesse. Voilà peut-être la plus grande
merveille de cette forêt merveilleuse ! Au pied de tous les arbres
surgissent, entre les pierres, des pousses d’un vert bleu, qui dans quelques
centaines d’années deviendront ces chefs-d’œuvre forestiers dont je vois les
nappes paisibles s’étager autour de nous…
J. et J.THARAUD
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