J’allais vers la
mer, en suivant la longue vallée qui conduit de Beni-Mansour à bougie. Devant nous,
au loin, un nuage épais et singulier fermait l’horizon. Sur nos têtes le ciel
était de ce blanc laiteux, qu’il prend l’été, dans ces chaudes contrées, mais
là-bas, une nuée brune à reflets jaunes, qui ne semblait être ni un orage, nu
un brouillard, ni une de ces tempêtes de sable qui passent avec la furie d’un
ouragan, ensevelissait dans son ombre grise le pays entier. Cette nue opaque,
lourde, presque noire à son pied et plus légère dans les hauteurs du ciel,
barrait, comme un mur, la large vallée. Puis, on crut tout à coup sentir dans l’air
immobile une vague odeur de bois brûlé. Mais quel incendie géant aurait pu
produire cette montagne de fumée ?
C’était de la fumée
en effet. Toutes les forêts Kabyles avaient pris feu. Bientôt on entra dans cette
demi-ténèbres suffocante. On ne voyait plus rien à cent mètres devant soi… Une
lueur confuse, lointaine encore, éclairait le ciel comme un météore. Elle grandissait,
grandissait, se dressait devant l’horizon, plutôt sanglante que brillante. Mais
soudain, à un brusque détour de la vallée, je me crus en face d’une ville
immense, illuminée. C’était une montagne entière, brûlée déjà, avec toutes les
broussailles refroidies, tandis que les troncs des chênes et des oliviers
restaient incandescents, charbons énormes, debout par milliers, ne fumant déjà
plus, mais pareils à des foules de lumières colossales…
A mesure qu’on
allait, on se rapprochait du grand foyer, et la clarté devenait éclatante… Quand
je découvrais la ligne embrasée, je demeurai épouvanté… l’incendie, comme un
flot, marchait sur une largeur incalculable. Il rasait le pays, avançait sans
cesse et très vite. Les broussailles flambaient, s’éteignaient. Pareils à des
torches, les grands arbres brûlaient lentement, agitant de hauts panaches de
feu, tandis que la courte flamme des taillis galopait en avant…
…Tantôt l’incendie
atteignait le chemin. Il fallait sauter de voiture pour écarter les arbres
ardents tombés devant nous, tantôt nous allions au galop des quatre chevaux,
entre deux vagues de feu, l’une descendant au fond d’un ravin ou coulait un
gros torrent, l’autre escaladant jusqu’aux sommets, et rongeant la montagne
dont elle mettait à nu la peau roussie…
GUY DE MAUPASSANT
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