mercredi 2 mai 2012

Forêt en feu

 
 
 
    J’allais vers la mer, en suivant la longue vallée qui conduit de Beni-Mansour à bougie. Devant nous, au loin, un nuage épais et singulier fermait l’horizon. Sur nos têtes le ciel était de ce blanc laiteux, qu’il prend l’été, dans ces chaudes contrées, mais là-bas, une nuée brune à reflets jaunes, qui ne semblait être ni un orage, nu un brouillard, ni une de ces tempêtes de sable qui passent avec la furie d’un ouragan, ensevelissait dans son ombre grise le pays entier. Cette nue opaque, lourde, presque noire à son pied et plus légère dans les hauteurs du ciel, barrait, comme un mur, la large vallée. Puis, on crut tout à coup sentir dans l’air immobile une vague odeur de bois brûlé. Mais quel incendie géant aurait pu produire cette montagne de fumée ?
    C’était de la fumée en effet. Toutes les forêts Kabyles avaient pris feu. Bientôt on entra dans cette demi-ténèbres suffocante. On ne voyait plus rien à cent mètres devant soi… Une lueur confuse, lointaine encore, éclairait le ciel comme un météore. Elle grandissait, grandissait, se dressait devant l’horizon, plutôt sanglante que brillante. Mais soudain, à un brusque détour de la vallée, je me crus en face d’une ville immense, illuminée. C’était une montagne entière, brûlée déjà, avec toutes les broussailles refroidies, tandis que les troncs des chênes et des oliviers restaient incandescents, charbons énormes, debout par milliers, ne fumant déjà plus, mais pareils à des foules de lumières colossales…
     A mesure qu’on allait, on se rapprochait du grand foyer, et la clarté devenait éclatante… Quand je découvrais la ligne embrasée, je demeurai épouvanté… l’incendie, comme un flot, marchait sur une largeur incalculable. Il rasait le pays, avançait sans cesse et très vite. Les broussailles flambaient, s’éteignaient. Pareils à des torches, les grands arbres brûlaient lentement, agitant de hauts panaches de feu, tandis que la courte flamme des taillis galopait en avant…
    …Tantôt l’incendie atteignait le chemin. Il fallait sauter de voiture pour écarter les arbres ardents tombés devant nous, tantôt nous allions au galop des quatre chevaux, entre deux vagues de feu, l’une descendant au fond d’un ravin ou coulait un gros torrent, l’autre escaladant jusqu’aux sommets, et rongeant la montagne dont elle mettait à nu la peau roussie…

                        GUY DE MAUPASSANT

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