Nous fûmes tous
habillés de neuf. Grande affaire et qui mit en état se siège l’appartement à
peine installé. En général, Ferdinand reprenait les habits de Joseph, et les habits
de Ferdinand, lavés, reprisés, pliés, attendaient dans un tiroir que je fusse
en âge de leur donner le coup de grâce. Mais maman voulait que notre début rue
Vandamme fût considéré comme une date capitale et nous reçûmes tous des
vêtements neufs.
_ Oh !
disait-elle, je ne jette pas les vieux. Tu sais bien que je ne jette rien. J’ai
fait mes comptes. Avec ce que tu me donnes, ils auront aussi du linge. Pour les
chaussures, je dépasserai peut-être un peu ce que tu me donnes.
_ Attention, Lucie !
_ Il faut absolument
aller jusqu’aux chaussures pendant qu’on le peut. Je suis raisonnable, Raymond.
Mais pour ça, tant pis ! Que les enfants soient propres pour commencer. Je
m’arrangerai. Ne te tourmente pas.
Elle partit en
expédition dans ces mystérieux «magasins » où les personnes prédestinées
parviennent, à travers mille tentations, à dénicher exactement ce qu’elles
souhaitaient, et à des prix plus avantageux qu’on n’oserait l’espérer. Notre nouvelle
salle à manger fut transformée, comme l’ancienne, en atelier de couture et
maman commença de rêver sur des patrons de papier gris. Elle avait l’air d’un
général qui consulte ses cartes et combine une bataille. De gros ciseaux en
main, elle si vive, réfléchissait longuement avant de tailler à même m’étoffe. Parfois,
elle nous criait : « Taisez-vous une minute, mes enfants, que je voie clair. » Nous faisions
silence, frappés par la gravité de son accent, de son geste. Et, soudain, avec
un bruit crissant et glouton, les ciseaux mordaient le drap.
Joseph devait
recevoir un complet de jeune homme, avec, pour la première fois, un pantalon
long. Il se montrait plein d’exigence, ne quittait plus maman d’une ligne, car
les vacances de Pâques étaient venues. Il réclamait opiniâtrement des revers à
la mode, des boutons de fantaisie, des poches innombrables. Maman disait : « Sois
tranquille, ce sera comme chez le tailleur. »
Elle savait tout
faire : couper les vêtements d’homme, faufiler, piquer, broder, tricoter,
passer à la teinture, laver, repasser. Quoi donc encore ? Eh ! Tout,
dis-je.
GEORGES DUHAMEL
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