vendredi 4 mai 2012

LES VETMENTS NEUFS




     Nous fûmes tous habillés de neuf. Grande affaire et qui mit en état se siège l’appartement à peine installé. En général, Ferdinand reprenait les habits de Joseph, et les habits de Ferdinand, lavés, reprisés, pliés, attendaient dans un tiroir que je fusse en âge de leur donner le coup de grâce. Mais maman voulait que notre début rue Vandamme fût considéré comme une date capitale et nous reçûmes tous des vêtements neufs.

   _ Oh ! disait-elle, je ne jette pas les vieux. Tu sais bien que je ne jette rien. J’ai fait mes comptes. Avec ce que tu me donnes, ils auront aussi du linge. Pour les chaussures, je dépasserai peut-être un peu ce que tu me donnes.

   _ Attention, Lucie !

   _ Il faut absolument aller jusqu’aux chaussures pendant qu’on le peut. Je suis raisonnable, Raymond. Mais pour ça, tant pis ! Que les enfants soient propres pour commencer. Je m’arrangerai. Ne te tourmente pas.

     Elle partit en expédition dans ces mystérieux «magasins » où les personnes prédestinées parviennent, à travers mille tentations, à dénicher exactement ce qu’elles souhaitaient, et à des prix plus avantageux qu’on n’oserait l’espérer. Notre nouvelle salle à manger fut transformée, comme l’ancienne, en atelier de couture et maman commença de rêver sur des patrons de papier gris. Elle avait l’air d’un général qui consulte ses cartes et combine une bataille. De gros ciseaux en main, elle si vive, réfléchissait longuement avant de tailler à même m’étoffe. Parfois, elle nous criait : « Taisez-vous une minute, mes enfants,  que je voie clair. » Nous faisions silence, frappés par la gravité de son accent, de son geste. Et, soudain, avec un bruit crissant et glouton, les ciseaux mordaient le drap.

     Joseph devait recevoir un complet de jeune homme, avec, pour la première fois, un pantalon long. Il se montrait plein d’exigence, ne quittait plus maman d’une ligne, car les vacances de Pâques étaient venues. Il réclamait opiniâtrement des revers à la mode, des boutons de fantaisie, des poches innombrables. Maman disait : « Sois tranquille, ce sera comme chez le tailleur. »

     Elle savait tout faire : couper les vêtements d’homme, faufiler, piquer, broder, tricoter, passer à la teinture, laver, repasser. Quoi donc encore ? Eh ! Tout, dis-je.



                                     GEORGES DUHAMEL

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