De jour en jour la forêt changeait d’aspect. Sur
la verdure d’été l’automne étendait ses
badigeons de rouille. Dès les premières nuits froides les quenouilles des peupliers
de la lisière s’étaient dorées. Puis les merisiers, les hêtres et les érables s’étaient
allumés comme des torches. Peu à peu l’incendie gagnait tous les arbres, à l’exception
des résineux. Les acacias et les tilleuls devenaient d’un blond pâle ; les
chênes secouaient dans le vent aigre de rudes tignasses rousses ; les
trembles, les pommiers et les poiriers sauvages charbonnaient comme s’ils
eussent été léchés par une flamme.
Et peut à peu les feuilles tombaient, les unes
tout droit, pressées d’arriver au sol, les autres lentement, cérémonieusement,
après avoir plané sur les coulées de l’air. Le platane les laissait aller une à
une ; les bouleaux et les trembles les lâchaient par bandes qui semblaient
des volées d’oiseaux effrayés. Certains arbres résistaient longtemps au vent et
à la pluie, mais un beau matin, après une nuit un peu froide, ils devenaient
chauves d’un seul coup.
Les sous-bois avaient perdu leurs dernières
fleurettes. Les hautes fougères fléchissaient, rouillées. Un épais tapis de
feuilles mortes recouvrait la mousse. Sous la pluie, ces feuilles
noircissaient, se décomposaient et se mêlaient peu à peu à l’humus. Les champignons
vénéneux parmi les champignons comestibles.
Prestiot ne craignait point les chercheurs de
champignons. Il ne craignait pas davantage les gardes et les hommes chargés de
l’exploitation de la forêt. Ces hommes choisissaient dans les futaies les
arbres mal venus ou malades, ou trop vieux, que l’on abattrait pendant l’hiver ;
ils délimitaient aussi les coupes que l’on ferait dans les taillis suffisamment
âgés, et marquaient les baliveaux que devrait respecter la cognée du bûcheron.
Ces gens étaient les habitués de la forêt ;
ils en aimaient tous les arbres et toutes les bêtes ; il ne leur venait
point à l’idée de pourchasser Prestiot. Celui-ci entassait toujours
fiévreusement ses provisions, car la saison devenait plus froide et, à travers
les branches dénudées, le vent soufflait plus librement.
ERNEST PEROCHON
Ernest Perochon était autrefois "un auteur de dictées" .Je retrouve dans les cahiers journaliers des écoliers de mon petit pays et de mon enfance, de nombreux extraits de Pérochon dont cette dictée donnée au Cours moyen en 1947
RépondreSupprimer« De jour en jour, la forêt changeait d’aspect. Sur la verdure d’été, l’automne étendait ses badigeons de rouille. Dès les premières nuits froides, les quenouilles des peupliers en lisière s’étaient dorées. Puis les cerisiers, les hêtres et les érables s’étaient allumés comme des torches. Peu à peu, l’incendie gagnait tous les arbres à l’exception des résineux » (Ernest Pérochon)