Les chasseurs avaient envahi la forêt. Des chiens les
accompagnaient. Il y avait de silencieux chiens d’arrêt, qui s’immobilisaient
soudain comme des bêtes de pierre devant le gibier tremblant ; et il y
avait des chiens courants, féroces chiens de meute dont les aboiements sonores
réveillaient brutalement tous les sous-bois.
Prestiot regardait s’enfuir les lièvres affolés et s’envoler
lourdement les faisans aux belles plumes. Les lapins couraient vers leurs
garennes ; habiles à se dissimuler, ils profitaient de la moindre touffe
de bruyère, du moindre accident de terrain, se coulaient prestement sous les
fourrées, franchissaient d’un bond les espaces découverts. Les chevreuils
semblaient avoir des ailes. Rudânier fonçait droit, brisant les arbustes sur
son passage. Quand à Flibustin, lorsque les chiens donnaient de la voix en un
point de la forêt, on avait des chances de le rencontrer des la direction
opposée. Il connaissait plus d’un tour et n’avait pas son pareil pour mettre
les chiens en défaut. Lorsque la meute était bien lancée sur une fausse piste,
lui, par des chemins détournés, revenait tranquillement à son terrier.
Prestiot essuya plusieurs coups de feu. Il ne fut point blessé, car
il savait se dissimuler au bon moment. Néanmoins il regrettait sa tranquillité
perdue.
Un soir de novembre, comme il était caché au sommet du chêne
foudroyé, il vit un spectacle navrant. Les chasseurs s’étaient rassemblés dans
la clairière. Ils tirèrent de leurs carniers toutes les bêtes qu’ils avaient
tuées et ils les disposèrent sur le sol pour les compter. Il y avait là de nombreux
lapins, des lièvres, des faisans, des grives, des merles, des ramiers. Un des
chasseurs allongea même sur la mousse un marcassin déjà fort ; un autre
tenait par les pattes, à bras tendus, un gracieux chevreuil dont le museau
saignait. Les chiens bondissaient en grognant et montraient les crocs.
Les chasseurs partis, Prestiot demeura sur le chêne foudroyé. Bouleversé,
il ne songeait pas à regagner sa maison de brindilles et de mousse. D’épaisses
nuées grises s’étalaient sur les hauteurs de l’air ; d’autres plus
foncées, couraient si bas qu’elles semblaient devoir s’accrocher aux arbres.une
pluie fine commença de tomber. Elle ne ruisselait pas ; elle ne lavait
même pas la mousse rougie de la clairière ; elle ne faisait qu’élargir les
taches. Bientôt, la clairière, dans le jour déclinant, fut comme une mare
sanguinolente.
ERNEST PEROCHON
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