mercredi 2 mai 2012

Soir de chasse


      Les chasseurs avaient envahi la forêt. Des chiens les accompagnaient. Il y avait de silencieux chiens d’arrêt, qui s’immobilisaient soudain comme des bêtes de pierre devant le gibier tremblant ; et il y avait des chiens courants, féroces chiens de meute dont les aboiements sonores réveillaient brutalement tous les sous-bois.
      Prestiot regardait s’enfuir les lièvres affolés et s’envoler lourdement les faisans aux belles plumes. Les lapins couraient vers leurs garennes ; habiles à se dissimuler, ils profitaient de la moindre touffe de bruyère, du moindre accident de terrain, se coulaient prestement sous les fourrées, franchissaient d’un bond les espaces découverts. Les chevreuils semblaient avoir des ailes. Rudânier fonçait droit, brisant les arbustes sur son passage. Quand à Flibustin, lorsque les chiens donnaient de la voix en un point de la forêt, on avait des chances de le rencontrer des la direction opposée. Il connaissait plus d’un tour et n’avait pas son pareil pour mettre les chiens en défaut. Lorsque la meute était bien lancée sur une fausse piste, lui, par des chemins détournés, revenait tranquillement à son terrier.
      Prestiot essuya plusieurs coups de feu. Il ne fut point blessé, car il savait se dissimuler au bon moment. Néanmoins il regrettait sa tranquillité perdue.
     Un soir de novembre, comme il était caché au sommet du chêne foudroyé, il vit un spectacle navrant. Les chasseurs s’étaient rassemblés dans la clairière. Ils tirèrent de leurs carniers toutes les bêtes qu’ils avaient tuées et ils les disposèrent sur le sol pour les compter. Il y avait là de nombreux lapins, des lièvres, des faisans, des grives, des merles, des ramiers. Un des chasseurs allongea même sur la mousse un marcassin déjà fort ; un autre tenait par les pattes, à bras tendus, un gracieux chevreuil dont le museau saignait. Les chiens bondissaient en grognant et montraient les crocs.
      Les chasseurs partis, Prestiot demeura sur le chêne foudroyé. Bouleversé, il ne songeait pas à regagner sa maison de brindilles et de mousse. D’épaisses nuées grises s’étalaient sur les hauteurs de l’air ; d’autres plus foncées, couraient si bas qu’elles semblaient devoir s’accrocher aux arbres.une pluie fine commença de tomber. Elle ne ruisselait pas ; elle ne lavait même pas la mousse rougie de la clairière ; elle ne faisait qu’élargir les taches. Bientôt, la clairière, dans le jour déclinant, fut comme une mare sanguinolente.


                     ERNEST PEROCHON

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