Alexandra entre dans
la cuisine. Les volets sont fermés. Il fait noir. «
Ah !... » S’exclame-t-elle… Plus de Fernande à partir d’aujourd’hui,
sinon pendant une heure pour préparer le repas de midi. Elle ne veut pas
admettre qu’elle est bien attrapée. « Bah ! Je saurai faire
chauffer le lait ! Ce n’est pas difficile d’allumer le fourneau. D’abord,
il fait un froid de chien, là-dedans ! »
Les volets ouverts,
le jour faible encore ouaté de brouillard, envahit la cuisine
glacée. « Voyons ! Un bout de papier, un petit peu de bois… Où
est-ce qu’on met le charbon déjà ?... » C’est incroyable comme on
sait peu copier des gestes qu’on a mille fois vu faire devant soi.
Penchée sur le
gouffre du fourneau dont elle a fait sauter avec bruit les ronds, Alexandra
reste perplexe. Le charbon est trouvé, mais le papier s’est éteint sous le
petit bois. Une fumée âcre fait tousser Mlle HORP, qui s’impatiente. Il y a sans
doute un tour de clef qu’il faut donner pour obtenir le tirage. Mais, plus elle
remue la clef, moins le feu veut prendre.
« C’est
dégoûtant », dit-elle tout haut en frappant du pied. Elle tourne sur
elle-même plusieurs fois. Elle a faim et elle claque des dents. KIKI ne
comprend pas ce qui se passe. Il est sans cesse dans ses jambes et reçoit un
coup de pied rageur.
« Bon !
J’ai taché le crêpe de ma manche. Pourquoi y a-t-il de la graisse sur ce sale
fourneau ? »
Haussant les
épaules, elle tente un nouvel essai. Que faire ? Le feu ne prend pas plus
cette seconde fois que la première. Et tout à coup :
« Je n’ai qu’à
faire chauffer ça dans la cheminée ! Dans la cheminée, il y a toujours des
tisons sous la cendre. »
Elle prend les
pincettes et fouille vivement. Mais la cendre n’a pas été mise en tas. Point de
tisons…
Allumer du feu dans
la cheminée, c’est son affaire. La flamme, au bout d’un instant, monte
victorieusement.
« Ça y est !
Une casserole ? Celle qui me servait pour faire chauffer le lait de KIKI…
ça tiendra comme ça pourra, mais le lait sera chaud tout de suite. Le lait,
oui, mais où est-il le lait ? Est-ce que je sais où on le met, moi ? »
Les portes de buffet
battent, ensuite celles du placard. Elle cherche dans tous les coins, regarde
la porte, dehors. Pas de lait. Est-il possible ? Elle découvre avec
stupéfaction que le lait de tous les matins ne vient pas tout seul dans la
maison. Qui est-ce qui l’apportait ? Fernande. Pas de Fernande, pas de
lait. « Mais j’ai faim, moi ! » Les larmes aux yeux ?...Non,
certainement, elle ne va pas pleurer pour si peu de chose. Orgueilleuse, elle
se redresse : « Je mangerai du pain et du chocolat, voilà tout. »
Elle ne veut pas convenir de sa défaite. Se forçant à sourire, elle retourne au
buffet pour y prendre ce pain et ce chocolat. Le chocolat est là, mais le pain ?
Pourquoi y aurait-il du pain ? Pas plus que le lait, le pain ne se trouve
dans les maisons si quelqu’un ne l’apporte pas. Ce sont des choses qu’on
apprend un jour quand la vie vient à changer…Sombre, elle hoche la tête. La vie
a changé, certes…
LUCIE DELARUE-MARDRUS
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