vendredi 4 mai 2012

L’EMBARRAS D’UNE PETITE MENAGERE




     Alexandra entre dans la cuisine. Les volets sont fermés. Il fait noir. «  Ah !... » S’exclame-t-elle… Plus de Fernande à partir d’aujourd’hui, sinon pendant une heure pour préparer le repas de midi. Elle ne veut pas admettre qu’elle est bien attrapée. « Bah ! Je saurai faire chauffer le lait ! Ce n’est pas difficile d’allumer le fourneau. D’abord, il fait un froid de chien, là-dedans ! »

      Les volets ouverts, le jour faible encore ouaté de brouillard, envahit la cuisine glacée. « Voyons ! Un bout de papier, un petit peu de bois… Où est-ce qu’on met le charbon déjà ?... » C’est incroyable comme on sait peu copier des gestes qu’on a mille fois vu faire devant soi.

      Penchée sur le gouffre du fourneau dont elle a fait sauter avec bruit les ronds, Alexandra reste perplexe. Le charbon est trouvé, mais le papier s’est éteint sous le petit bois. Une fumée âcre fait tousser Mlle HORP, qui s’impatiente. Il y a sans doute un tour de clef qu’il faut donner pour obtenir le tirage. Mais, plus elle remue la clef, moins le feu veut prendre.

      « C’est dégoûtant », dit-elle tout haut en frappant du pied. Elle tourne sur elle-même plusieurs fois. Elle a faim et elle claque des dents. KIKI ne comprend pas ce qui se passe. Il est sans cesse dans ses jambes et reçoit un coup de pied rageur.

     « Bon ! J’ai taché le crêpe de ma manche. Pourquoi y a-t-il de la graisse sur ce sale fourneau ? »

      Haussant les épaules, elle tente un nouvel essai. Que faire ? Le feu ne prend pas plus cette seconde fois que la première. Et tout à coup :

    « Je n’ai qu’à faire chauffer ça dans la cheminée ! Dans la cheminée, il y a toujours des tisons sous la cendre. »

    Elle prend les pincettes et fouille vivement. Mais la cendre n’a pas été mise en tas. Point de tisons…

    Allumer du feu dans la cheminée, c’est son affaire. La flamme, au bout d’un instant, monte victorieusement.

    « Ça y est ! Une casserole ? Celle qui me servait pour faire chauffer le lait de KIKI… ça tiendra comme ça pourra, mais le lait sera chaud tout de suite. Le lait, oui, mais où est-il le lait ? Est-ce que je sais où on le met, moi ? »

     Les portes de buffet battent, ensuite celles du placard. Elle cherche dans tous les coins, regarde la porte, dehors. Pas de lait. Est-il possible ? Elle découvre avec stupéfaction que le lait de tous les matins ne vient pas tout seul dans la maison. Qui est-ce qui l’apportait ? Fernande. Pas de Fernande, pas de lait. « Mais j’ai faim, moi ! » Les larmes aux yeux ?...Non, certainement, elle ne va pas pleurer pour si peu de chose. Orgueilleuse, elle se redresse : « Je mangerai du pain et du chocolat, voilà tout. » Elle ne veut pas convenir de sa défaite. Se forçant à sourire, elle retourne au buffet pour y prendre ce pain et ce chocolat. Le chocolat est là, mais le pain ? Pourquoi y aurait-il du pain ? Pas plus que le lait, le pain ne se trouve dans les maisons si quelqu’un ne l’apporte pas. Ce sont des choses qu’on apprend un jour quand la vie vient à changer…Sombre, elle hoche la tête. La vie a changé, certes…



                           LUCIE DELARUE-MARDRUS

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