jeudi 3 mai 2012

Le rêve de BOUCHTA




      BOUCHTA fit prudemment le tour de la haie, et ayant cru trouver un passage praticable, il pénétra dans le verger ; mais en sautant à l’intérieur, par-dessus le fossé qui longeait la haie, un pan de sa Jellaba fut happé par la redoutable barrière et s’ouvrit en un large accroc. Il y avait dans la partie basse du verger, accumulé dans le fossé, des amas de tiges séchées que les femmes du douar avaient mis en réserve pour les besoins des feux et des fours. BOUCHTA s’assit dessus, tira son pain de son capuchon et mangea.
     Ce trou à sa jellaba était vraiment fâcheux. Non pas parce  qu’il la déparait, un trou _ quoique celui-là fût un fameux trou _ de plus ou de moins, il n’y avait pas de quoi s’alarmer. Mais parce que BOUCHTA, dans le bruit de l’étoffe qui craquait et dans la molle résistance de la trame, avait senti la décrépitude de sa vêture. C’était le vénérable EL Haj qui la luit avait donnée, déjà usagée, au cours d’une nuit qu’il avait passée sous le porche de la demeure du vieillard. Depuis, que de nuits dehors, de journées de soleil et de pluie !
     Il faut reconnaître que la charité des hommes a baissé et il est devenu nécessaire de restreindre sur tout. Chacun conserve aujourd’hui sa jellaba jusqu’à ce que, frangée de partout, elle fasse honte aux genoux et aux mollets…
     Soupirs. Réveil de l’accroc qui a déclenché cette rêverie. Pour le revoir et l’examiner mieux, BOUCHTA se soulève un peu, tire sur sa jellaba… Catastrophe ! L’étoffe, vieillie, s’accroche dans le fagot et cède encore… Cette fois, c’est irréparable. BOUCHTA contemple le tissu déchiré, et repart dans ses songeries.
     Il n’y a que le rêve, n’est-ce pas, qui nous sorte de la réalité médiocre. Ainsi, cette maudite jellaba ne nous donne que des ennuis. Pourquoi ne penser qu’aux jellabas ?
     Sans parler des caftans, gilets et autres belles choses… et pour ne s’en tenir qu’au nécessaire, il faut penser à la farajia qui se porte dessus. Il y en a qui sont des merveilles… La bonne farajia est montée à Fès par d’habiles artisans. Ils la parent de l’élégante «SFIFA » en soie tressée qui fait le tour du cou et de l’ouverture, en soie tressée aussi, avec sa tangée de petits boutons pressés…
      Là-dessus, une bonne chemise de coton, un pantalon ample à cordelette de soie… Alors on est vêtu comme il faut et on ne craint pas la fraîcheur, même le soir, à la tombée de la nuit, sur un fagot de tiges séchées…
       BOUCHTA se leva avant le soleil, parce que la rosée et le froid l’avaient transpercé. Il décida de gagner le douar voisin, pour y trouver un vêtement convenable…



                                                             PIERSUIS

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