Le petit Romain
Kalbris a quitté sa maison et cherche tout seul sa nourriture. On lui a donné
quatre francs pour des poissons qu’il a pêchés. Il arrive dans un village. Il a
très faim.
Je parcourus deux
fois l’unique rue du village : un café, un épicier, une auberge, pas de
marchand de pain.
Il m’n fallait
cependant, du pain ; et ce n’était pas en entendant mes deux pièces sonner
dans ma poche que je pouvais me résigner à m’en passer. La maîtresse de l’auberge
était sur le seuil de sa porte, j’osai lui demander où demeurait le boulanger.
_ Il n’y en a pas
ici, me dit-elle.
_ Alors madame,
est-ce que vous voulez bien me vendre une livre de pain ?
_ Nous ne vendons
pas de pain, mais je peux vous donner à dîner, si vous avez faim.
Par la porte
ouverte, il m’arrivait une odeur de choux, et j’entendais la marmite bouillir
sur le feu. Ma faim ne mut y résister.
_ Combien pour dîner ?
_ Pour une soupe, du
lard avec des choux et du pain, trente sous, le cidre compris.
C’était terriblement
cher, mais elle m’eût dit quatre francs que je serais entré tout de même. Elle me
plaça dans une petite salle basse, et elle apporta sur la table une miche de
pain qui pesait bien trois livres.
Ce fut cette miche
qui me perdit. Le lard était gras ; au lieu de le manger à la fourchette,
je l’étalai sur le pain et j’en fis des sandwiches, dont l’épaisseur était à
mes yeux la principale qualité. Un premier morceau fut englouti, puis un
second, puis un troisième. C’était si bon. La miche avait singulièrement
diminué. J’en coupai un quatrième morceau, énorme, celui-là, me disant que ce
serait le dernier. Mais lorsqu’il fut fini, il me restait encore un peu de lard :
je retournai à la miche et n’en laissai finalement qu’une tranche bien mince…
Je croyais être seul
dans la salle ; mais un bruit confus, quelque chose comme des rires et des
paroles étouffées, me firent tourner la tête du côté de la porte ;
derrière le vitrage dont le rideau était relevé, l’aubergiste, son mari et une
servante me regardaient en riant.
Ils entrèrent dans
la salle.
_ Monsieur a-t-il
bien dîné ? Me demanda l’aubergiste.
Et les rires recommencèrent. J’avais hâte de me
sauver ; j’offris ma pièce de quarante sous.
_ C’était trente
sous pour un homme, me dit l’aubergiste ; pour un ogre c’est quarante, mon
garçon.
Et elle ne me rendit
pas la monnaie.
_ Prenez garde d’éclater,
n’est-ce pas ? Ne marchez pas trop vite, ce sera prudent.
HECTOR MALOT
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