vendredi 4 mai 2012

QUEL APPETIT !




    Le petit Romain Kalbris a quitté sa maison et cherche tout seul sa nourriture. On lui a donné quatre francs pour des poissons qu’il a pêchés. Il arrive dans un village. Il a très faim.
    Je parcourus deux fois l’unique rue du village : un café, un épicier, une auberge, pas de marchand de pain.
    Il m’n fallait cependant, du pain ; et ce n’était pas en entendant mes deux pièces sonner dans ma poche que je pouvais me résigner à m’en passer. La maîtresse de l’auberge était sur le seuil de sa porte, j’osai lui demander où demeurait le boulanger.
   _ Il n’y en a pas ici, me dit-elle.
   _ Alors madame, est-ce que vous voulez bien me vendre une livre de pain ?
_ Nous ne vendons pas de pain, mais je peux vous donner à dîner, si vous avez faim.
    Par la porte ouverte, il m’arrivait une odeur de choux, et j’entendais la marmite bouillir sur le feu. Ma faim ne mut y résister.
    _ Combien pour dîner ?
    _ Pour une soupe, du lard avec des choux et du pain, trente sous, le cidre compris.
C’était terriblement cher, mais elle m’eût dit quatre francs que je serais entré tout de même. Elle me plaça dans une petite salle basse, et elle apporta sur la table une miche de pain qui pesait bien trois livres.
     Ce fut cette miche qui me perdit. Le lard était gras ; au lieu de le manger à la fourchette, je l’étalai sur le pain et j’en fis des sandwiches, dont l’épaisseur était à mes yeux la principale qualité. Un premier morceau fut englouti, puis un second, puis un troisième. C’était si bon. La miche avait singulièrement diminué. J’en coupai un quatrième morceau, énorme, celui-là, me disant que ce serait le dernier. Mais lorsqu’il fut fini, il me restait encore un peu de lard : je retournai à la miche et n’en laissai finalement qu’une tranche bien mince…
    Je croyais être seul dans la salle ; mais un bruit confus, quelque chose comme des rires et des paroles étouffées, me firent tourner la tête du côté de la porte ; derrière le vitrage dont le rideau était relevé, l’aubergiste, son mari et une servante me regardaient en riant.
Ils entrèrent dans la salle.
   _ Monsieur a-t-il bien dîné ? Me demanda l’aubergiste.
Et  les rires recommencèrent. J’avais hâte de me sauver ; j’offris ma pièce de quarante sous.
   _ C’était trente sous pour un homme, me dit l’aubergiste ; pour un ogre c’est quarante, mon garçon.
Et elle ne me rendit pas la monnaie.
   _ Prenez garde d’éclater, n’est-ce pas ? Ne marchez pas trop vite, ce sera prudent.



                                   HECTOR MALOT

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