C’est un petit chat noir,
effronté comme un page
Je le laisse jouer sur ma
table, souvent.
Quelquefois il s’assied sans
faire de tapage,
On dirait un joli
presse-papier vivant.
Rien en lui, pas un poil de
sa toison ne bouge.
Longtemps il reste là, noir
sur un feuillet blanc,
A ces matous, tirant leur
langue de drap rouge,
Qu’on fait pour essuyer les
plumes, ressemblant.
Quand il s’amuse, il est
extrêmement comique,
Pataud et gracieux, tel un
ourson drôlet.
Souvent je m’accroupis pour
suivre sa mimique
Quand on met devant lui la
soucoupe de lait.
Tout d’abord, de son nez
délicat il le faire,
Les frôle, puis à coups de
langue très petits,
Il le lampe, et dès lors, il
est à son affaire,
Et l’on entend, pendant qu’il
boit, un clapotis.
Il boit, bougeant la queue,
et sans faire une pause,
Et ne relève enfin son joli
museau plat
Que lorsqu’il a passé sa
langue rêche et rose
Partout, bien proprement
débarbouillé le plat.
Alors, il se pourlèche un
moment les moustaches
Avec l’air étonné d’avoir
déjà fini ;
Et, comme il s’aperçoit qu’il
s’est ait quelques taches,
Il relustre avec soin son
pelage terni.
Ses yeux jaunes et bleus sont
comme deux agates,
Il le ferme à demi, parfois,
en reniflant,
Se renverse, ayant pris son
museau dans ses pattes,
Avec des airs de tigre étendu
sur le flanc.
Mais le voilà qui sort de
cette nonchalance,
Et, faisant le gros dos, il a
l’air d’un manchon,
Alors, pour l’intriguer un
peu, je lui balance,
Au bout d’une ficelle
invisible, un bouchon.
Il fuit en galopant et la
mine effrayée,
Puis revient au bouchon, le
regarde, et d’abord
Tient suspendue en l’air sa
patte repliée,
Puis l’abat, et saisit le
bouchon, et le mord.
Je tire la ficelle, alors,
sans qu’il le voie,
Et le bouchon s’éloigne, et
le chat noir le suit,
Faisant des ronds avec sa
patte qu’il envoie,
Puis saute de côté, puis
revient, puis refit.
Mais dès que je lui
dit : il faut que je travaille
Venez vous asseoir là, sans
faire le méchant !
Il s’assied… Et j’entends,
pendant que j’écrivaille,
Le petit bruit mouillé qu’il
fait en se léchant.
EDMOND ROSTAND
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