dimanche 29 avril 2012

Le petit chat


C’est un petit chat noir, effronté comme un page
Je le laisse jouer sur ma table, souvent.
Quelquefois il s’assied sans faire de tapage,
On dirait un joli presse-papier vivant.

Rien en lui, pas un poil de sa toison ne bouge.
Longtemps il reste là, noir sur un feuillet blanc,
A ces matous, tirant leur langue de drap rouge,
Qu’on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.

Quand il s’amuse, il est extrêmement comique,
Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet.
Souvent je m’accroupis pour suivre sa mimique
Quand on met devant lui la soucoupe de lait.

Tout d’abord, de son nez délicat il le faire,
Les frôle, puis à coups de langue très petits,
Il le lampe, et dès lors, il est à son affaire,
Et l’on entend, pendant qu’il boit, un clapotis.

Il boit, bougeant la queue, et sans faire une pause,
Et ne relève enfin son joli museau plat
Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.

Alors, il se pourlèche un moment les moustaches
Avec l’air étonné d’avoir déjà fini ;
Et, comme il s’aperçoit qu’il s’est ait quelques taches,
Il relustre avec soin son pelage terni.

Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates,
Il le ferme à demi, parfois, en reniflant,
Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,
Avec des airs de tigre étendu sur le flanc.

Mais le voilà qui sort de cette nonchalance,
Et, faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon,
Alors, pour l’intriguer un peu, je lui balance,
Au bout d’une ficelle invisible, un bouchon.

Il fuit en galopant et la mine effrayée,
Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord
Tient suspendue en l’air sa patte repliée,
Puis l’abat, et saisit le bouchon, et le mord.

Je tire la ficelle, alors, sans qu’il le voie,
Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,
Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,
Puis saute de côté, puis revient, puis refit.

Mais dès que je lui dit : il faut que je travaille
Venez vous asseoir là, sans faire le méchant !
Il s’assied… Et j’entends, pendant que j’écrivaille,
Le petit bruit mouillé qu’il fait en se léchant.

                               EDMOND ROSTAND

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