samedi 28 avril 2012

Les Interrogations




    La journée commença par une leçon de calcul, science dont je n’avais pas le goût. Nous devions étudier la division à un chiffre. Plusieurs de ces petites opérations étaient écrites à un tableau. Les élèves, à tour de rôle, se levaient, croisaient les bras et donnaient, des signes exposés, l’interprétation rituelle. «  En vingt-huit billes à partager… » Chaque élève devait de lui-même, changer l’exemple, vint le tour de mon ami Désiré Wasselin. Il croisa les bras, fronça les sourcils et commença : «  En trente-sept, combien de fois sept ? » Il parlait lentement, avec peine, sa grosse tête inclinée de côté, l’air lointain. Il était fort en retard dans ses études et le plus âgé de la classe. Il choisit pour exemple les cerises et ne se tira pas trop mal de sa chantante récitation. «  Cela signifie que mes camarades recevront chacun cinq cerises et qu’il ne m’en restera que deux. »Toute la classe dressa l’oreille. La phrase normale était : «  Il m’en restera deux. » Il u eut un silence et Désiré poursuivit d’une voix funèbre : «  Mais ça m’est bien égal. »

    M. Joliclerc levait les bras au ciel. Il renversait la tête en arrière avec un air d’embarras comique. Nous apercevions les trous de son nez et sa bouche noire, pleine de chicots. Il dit : «Toujours martyr, alors mon pauvre Wasselin ? Allons, assieds-toi. Tu auras quand même une bonne note. » Et Désiré se rassit, l’air sombre.

    C’était le tour de Gabourin, le chenapan qui m’avait dérobé mon béret. Il avait une mine de rat audacieux. Il prit les fraises pour exemple et termina son couplet d’une voix si réticente que M. Joliclerc s’écria : «  Des fraises, oui. Il t’en reste cinq. Lesquelles prends-tu ? Gabourin rattrapa sur le bord de sa lèvre une grosse goutte de salive et répondit : «  Les grosses. » M. Joliclerc se mit à rire. La classe, émue bruissait…

    Après la leçon de calcul vint une leçon de choses. J’eus la chance d’être interrogé, mais la douleur de faire une mauvaise réponse. «  De quelle couleur est le vin ? » demandait M.Joliclerc. Tous les doigts se tendaient, impatients d’un succès facile. « Toi, dit le maître, toi le nouveau, qu’au moins en entende ta voix ! » Je me levai en tremblant : « Il y a deux sortes de vin : le blanc et le noir. » La classe entière protesta : « Le blanc et le rouge ! Le rouge, monsieur ! ».

  Je me rassis plein de honte.

                                                         GEORGES DUHAMEL

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