Les vapeurs qui s’étendaient
sur le ciel, comme le tfina de mousseline dont la transparence atténue l’éclat
d’un caftan, se sont accumulées, cette nuit, et deviennent d’épaisses nuées
menaçantes.
Elles accourent de l’ouest, se poursuivent, se
bousculent, se confondent… Plus haute et subitement hostile, la chaîne du
Zerhoun barre l’horizon d’un rempart indigo foncé…
Quelques gouttes s’écrasent lentement dans
la poussière en y traçant des étoiles… Leur rythme d’accentue, se précipite, et
Meknès disparait sous le voile rayé de la pluie.
Elle tombe ! Elle tombe !
Impétueuse, irrésistible, dévastatrice. On dirait qu’elle veut se venger de son
long exil. Elle tombe avec rage, avec férocité. Elle noie les demeures,
transperce les murs, flagelle les arbres et les plantes. La rue tout entière
est un torrent qui dégringole ; certains patios en contre bas de la
chaussée se remplissent d’eau…
Sa première fureur passée, la pluie se fait
régulière et monotone, elle s’installe…
Les rues s’emplissent
de boue. Il y a des flaques profondes ou l’on s’enlise, des pentes que l’on ne
saurait gravier sans glisser, des ruisseaux gluants, épais et bruns…
Au pas de sa mule, un notable éclabousse les
murs et les passants. Des négrillons barbotent avec ivresse, maculant leur peau
de taches blanchâtres.
Les Marocains ont chaussé de hautes socques
en bois qui pointent à l’avant du pied. Enveloppés de leur burnous de drap
sombre, aux capuchons dressés, ils ne s’abordent qu’avec des airs réjouis et
ils se congratulent comme pour une fête :
_ L’orge ainsi que
le poisson aime l’eau…
_ Louange à Dieu qui
nous accorde la pluie !
_ Bénie soit-elle !
Les récoltes seront heureuses…
Le jour oscille et s’abîme
dans la nuit. Une nuit mate, épaisse, absolue… Aucune lueur ne descend du ciel,
ces ténèbres n’ont pas d’étoiles, seules, des lanternes errantes éclairent le
sol de reflets en zigzag.
A. R. DE LENS
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