C’était une salle
unique, éclairée par des fenêtres à petits carreaux, que je n’ai jamais vues
ouvertes. Point de plancher ni de carrelage ; nos sabots frottaient la
terre nue. Des bancs, mais point de tables. Nous écrivons sur des planches de
chêne, percés en haut par un petit trou ou passait une ficelle qui les
suspendait, la classe finie, à des clous piqués dans le mur. Ma planche, que je
regrette bien d’avoir perdue, avait servi à mon père et à ma grand-mère dans
cette même école ou nous fûmes tous les trois élèves du même maître, le père
Matton, _ nô maître.
Il était bien vieux, nô maître, lorsque je
devins son élève en 1847 ou 1848, je ne sais pas au juste. Sous son bonnet de
soie noire, de la chair grise pendait par petits paquets. Il était habile à
tailler les plumes d’oie dont nous nous servions, car l’usage des plumes métalliques
commençait à peine à se répandre dans les campagnes. Ceux de nous qui
possédaient une « plume d’acier » en humiliaient les camarades.
Longuement, nous écrivons des pages, nous
ânonnions des lectures et la table de multiplication, et c’était tout. Nô maître
avait des raisons trop bonnes de ne pas duretés : des coups de baguette
sur les doigts joints ensemble, ou des séances à genoux, la main droite levée
soutenant une brique.
Mais nous connaissions de bons moments :
le père matton, chantre au lutrin, nous quittait quand il y avait messe de
mariage ou de mort, et tous les samedis après-midi, _ car on chantait alors les
vêpres du samedi. Son chant d’octogénaire semblait l’aboiement, péniblement déclenché,
d’un chien très vieux. En son absence, sa fille, mademoiselle Adèle, venait s’asseoir
dans la classe, ou elle épluchait sa salade. Elle nous surveillait de l’œil. C’est
bien le cas de le dire, car elle n’en avait qu’un. Pour nous faire tenir
tranquilles, elle promettait aux plus sages des « tu-rons », comme
on appelle ici la tige des feuilles de salade. Ces turons de mademoiselle Adèle
furent les premières récompenses scolaires qui je reçus.
ERNEST LAVISSE
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