Souvenir d’Ecole Coranique

      Mes parents sont venus de loin, par un beau jour de fin d’été. Ma mère montait un âne gris aux longues oreilles rabattues, mon père suivait en silence. Un soir, ils ont franchi une large porte couronnée de merlons. Un fondouq leur donna asile pour la nuit. Puis, ils trouvèrent un logement dans un quartier pauvre et les voilà citadins. Certes, ils eurent de la peine à oublier leur montagne enturbannée de neige, mais mon père désirait un fils qui ne fut nu berger ni brigand, mon père désirait un savant et les savants ne sont pas produits de montagne…

      J’ai toujours présentes à la mémoire les matinées d’hiver, triste de pluie et de boue, ou j’arrivais au chant du coq pour réciter la leçon de la veille, laver ma planchette dans une eau glacée, les révisions de mardis et des samedis dont je sortais les tibias zébrés de rouge et de bleu et ces chaudes journées d’été avec le picotement des puces dans les jambes, l’odeur de la sueur, le va-et-vient incessant des têtes et les hurlements de toutes ces bouches.

      Maman attendait mon retour du «  msid » pour déjeuner ; l’heure variait suivant la fantaisie du « fqih ». Parfois, à peine ma planchette lavée et recouverte d’une couche d’argile, la baguette de cognassier m’effleurait de sa pointe et le maître m’ordonnait de partir. Il me recommandait de faire vite, à mon retour, je transcrirais sous ma dictée ma leçon du jour. Souvent, je restais à rythmer, d’un va-et-vient du buste, des phrases obscures d’un langage qui m’était étranger. Je partais tard. La tête le faisait mal, je voyais double et j’avais une grande envie de rendre ma bile…

      Ma mère me réservait un accueil délirant : «  Voici arrivé mon « chérif ! » La maison s’illumine de la présence de mon « alem ! » Fasse Dieu que je sois encore en vie quand il trônera sur sa chaire à Karaouiyine ! » Les voisines riaient. Moi, je reniflais avec dignité.

                                                                            AHMED SEFRIOUI