J’avais huit ou neufs ans, l’âge ou
le cœur espère,
Et je partageais seul la chambre de
mon père,
Vaste pièce ou mon lit s’abritait
dans un coin,
Tandis qu’il occupait l’autre bout,
assez loin ;
Et je dormais ainsi paisible sous sa
garde,
Une nuit cependant que la lune
blafarde,
Dans les carreaux bleuis envoyait sa
clarté,
Un trouble sans motif me tenait
agité,
Je regardais mon père et sa face
robuste,
J’écoutais, admirant la vigueur de
son buste,
Dans cette solitude ou me laissait
le nuit,
Descendre et remontrer son souffle à
petit bruit.
La lune au blanc rayon pâlissait son
visage
Dont l’aspect grave et fort le jour
me rendait sage.
Un infini désir me vint de
m’approcher.
Je sautai de mon lit : pieds
nus sur le plancher,
Mon cœur d’enfant heureux qu’on
protège et caresse
Débordant tout à coup d’une vague
tendresse,
Et sentant que j’avais là mon
meilleur ami,
J’allai baiser le front de mon père
endormi.
Et je pus reposer après dans ma
couchette.
Cette marque d’amour témoignée en
cachette,
Mon père la sentit, car il ne
dormait pas.
Depuis il m’a conté, vieillard aux
faibles pas,
Que jamais sous le ciel joie intense
et profonde
Dont aux jours les plus beaux le
cœur humain s’inonde,
Ne saurait égaler celle qu’il
éprouva,
Quand sous ses yeux mi-clos son enfant
se leva
Et s’en vint lui porter, dans la
nuit inquiète,
Cette marque d’amour ignorée et
muette.
Charles De Pomairols, rêves et pensées
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire