samedi 28 avril 2012

La chambre paternelle



J’avais huit ou neufs ans, l’âge ou le cœur espère,
Et je partageais seul la chambre de mon père,
Vaste pièce ou mon lit s’abritait dans un coin,
Tandis qu’il occupait l’autre bout, assez loin ;
Et je dormais ainsi paisible sous sa garde,
Une nuit cependant que la lune blafarde,
Dans les carreaux bleuis envoyait sa clarté,
Un trouble sans motif me tenait agité,
Je regardais mon père et sa face robuste,
J’écoutais, admirant la vigueur de son buste,
Dans cette solitude ou me laissait le nuit,
Descendre et remontrer son souffle à petit bruit.
La lune au blanc rayon pâlissait son visage
Dont l’aspect grave et fort le jour me rendait sage.
Un infini désir me vint de m’approcher.
Je sautai de mon lit : pieds nus sur le plancher,
Mon cœur d’enfant heureux qu’on protège et caresse
Débordant tout à coup d’une vague tendresse,
Et sentant que j’avais là mon meilleur ami,
J’allai baiser le front de mon père endormi.
Et je pus reposer après dans ma couchette.
Cette marque d’amour témoignée en cachette,
Mon père la sentit, car il ne dormait pas.
Depuis il m’a conté, vieillard aux faibles pas,
Que jamais sous le ciel joie intense et profonde
Dont aux jours les plus beaux le cœur humain s’inonde,
Ne saurait égaler celle qu’il éprouva,
Quand sous ses yeux mi-clos son enfant se leva
Et s’en vint lui porter, dans la nuit inquiète,
Cette marque d’amour ignorée et muette.

         Charles De Pomairols, rêves et pensées

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