samedi 24 septembre 2011

Qu'est ce que la santé ?

Qu'est ce que la santé ?
Comment le massage peut il nous aider à mieux vivre ? L'article qui suit, écrit par une équipe médicale spécialiste des personnes âgées, permet de placer dans une perspective historique la vision que nous avons de notre santé - dans un contexte dans lequel nous allons tous être de plus en plus médicalement assistés, sans pour autant être malades.

Évolution du concept

"La santé a remplacé le salut". "Comment allez-vous du ventre", était au Moyen-âge la manière de s'aborder en ces temps ou l'occlusion due à l'appendicite empêchant " d'aller du ventre " causait la mort. Cette expression entraînait une réponse de type "Bien, je ne suis pas malade, grâce à Dieu" au temps ou sévissait la peste et où assurer le salut de son âme était le but de qualité de sa vie. Actuellement la réponse au "Comment allez-vous ?" est souvent devenue "Ça va, mais j'ai des soucis professionnels...". La maladie n'est plus seule en cause dans la notion de santé, de qualité de la vie... L'absence de maladie est devenue un droit, presque un dû... À notre époque, l'homme bien portant est un malade qui s'ignore de moins en moins.

Bref survol de l'évolution de la notion de santé

Depuis la nuit des temps le souci premier des hommes est de se nourrir et de se mettre à l'abri. Le néolithique a été un tournant : les hommes sont devenus agriculteurs sédentaires. Des savoirs pluriels, fonction des lieux géographiques, se sont alors accumulés au fil des siècles et transmis oralement. Ils étaient orientés sur le prendre soin de la survie de l'individu et du groupe car la précarité des ressources alimentaires était partout présente et la naissance était un passage à risque. L'expérience s'est accumulée et des savoirs empiriques basés sur l'utilisation des plantes se sont précisés. Transmis par tradition orale familiale au début, les écrits issus de ces pratiques furent diffusés à l'université mais aussi par les colporteurs qui parcouraient la France, jusqu'au début du XX° siècle. En ces temps là, la santé était de bien se porter, sous entendu sur ses jambes.
La première édition du Dictionnaire de l'Académie française, en 1694 mentionne entre autre au mot Santé : "Estat de celuy qui est sain, qui se porte bien." On appelle, Billet de santé, l'attestation que les Officiers ou Magistrats des lieux donnent en temps de peste, pour certifier qu'un voyageur ne vient pas d'un lieu suspect.. Au 19ème siècle s'ouvre l'ère pastorienne et la découverte des microbes va modifier l'approche des risques de la vie : l'hygiène individuelle et les actions sociales contre la diffusion de microbes permettait d'entrevoir une vie sans maladie physique (tétanos, tuberculose, typhoïde, etc.). La santé fut définie comme l'absence de maladie.

La découverte de la pénicilline et autres antibiotiques qui permettent de guérir de nombreuses maladies conduit l'OMS, après la guerre de 1940/45, à définir la santé comme un " état complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité ". La population était surtout rurale en ces temps là et l'environnement, naturel, n'était pas un élément à intégrer dans la définition de la santé. L'urbanisation croissante et les différences de développement économique en fonction des lieux géographiques du monde, vont amener à reconsidérer le rôle de l'environnement. René Dubos propose alors une définition intégrant l'épanouissement de chacun dans le milieu ou il vit.

La notion de "qualité de la vie" fait son entrée. Dans ce cadre les médecins qui furent en première ligne pour les actions d'hygiène individuelle et sociale au siècle dernier, ne sont plus les seuls acteurs en lice pour promouvoir la santé.

Définitions de la santé

La santé est une ressource individuelle et collective. Elle se définit d'abord en négatif par rapport aux notions de mal-être, maladie, morbidité, douleur, déficience. C'est "la vie dans le silence des organes" ; "lorsqu'on la possède on n'y pense plus" (Haut comité de la santé publique, La santé en France rapport général, 1994.) Si l'on y introduit une dimension sociale et psychologique, alors la santé s'oppose également à l'incapacité, au désavantage et au handicap.

Maladie : altération organique ou fonctionnelle considérée dans son évolution ou comme une entité définissable. (Petit Robert) ;

Morbidité : nombre de personnes malades ou nombre de cas de maladies dans une population donnée à un moment donné ;

Déficience : altération d'une structure ou fonction anatomique (déficience physique), physiologique (déficience sensorielle ou viscérale) ou psychologique (déficience mentale). Il s'agit d'un état temporaire ou permanent en référence à une norme biomédicale ;

Incapacité : réduction partielle ou totale de la capacité d'accomplir une activité d'une façon considérée comme normale pour un être humain ;

Handicap : désavantage social conféré par l'incapacité et la déficience mais aussi par un environnement défaillant : pour un individu, le handicap est fonction des altérations de l'état de santé, des ressources personnelles, de l'environnement personnel et collectif ;

Dépendance : on utilise le terme de dépendance lorsque les actes élémentaires de la vie courante (se nourrir, s'habiller, se mouvoir, etc.) nécessitent l'aide d'un tiers pour être effectués. Dans un tout autre contexte l'on parle de dépendance à des produits toxiques.

La santé inclut une perception plus positive, recouvre désormais les notions de bien-être et d'adaptation à l'environnement physique et social. Cette approche dite perceptuelle renvoie au "ressentir", à ce que G. Canguilhem appelle "la vérité du corps" (G. Canguilhem, La Santé : concept vulgaire et philosophique, Sables, Pin Balma, 1990.) Elle est éminemment subjective et variable suivant l'époque, le lieu, le sexe, la catégorie sociale, l'âge. Cette dimension "perceptuelle" est essentielle : c'est à la population de dire comment elle juge sa santé. Cette perception est déterminante : on sait l'influence sur la maladie du vécu de la maladie. On peut s'étonner à cet égard du décalage qui existe entre mesure objective et perception subjective de la santé : des personnes âgées handicapées, des malades chroniques lourds jugent souvent leur état de santé satisfaisant.

La santé, à notre époque, fait aussi référence à une recherche de mieux-être. La demande de santé devient aussi une demande "de corps performant" : beau, jeune, sportif, intelligent... La médecine du "désir" illustrée notamment par les prouesses de l'assistance médicale à la procréation et de la chirurgie esthétique, est entrée en scène.

Le territoire de la santé évolue, il s'étend sous l'effet de la médicalisation voire de la "médicamentation" croissante du mal-vivre et des problèmes sociaux mais aussi avec l'apparition des "bien portants, médicalement traités" : femmes enceintes, jeunes enfants, femmes ménopausées, personnes âgées...

La définition de la santé en 1978 par l'OMS

"État complet de bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité". Elle présente l'intérêt d'insister sur les différentes dimensions de la santé. En envisageant l'aspect physique, psychique et social, elle ne privilégie pas l'aspect purement somatique auquel se limite trop souvent l'horizon médical. Elle véhicule une vision globale multidimensionnelle de l'homme. Il a d'ailleurs été envisagé de modifier la définition, en ajoutant une quatrième dimension: la dimension " spirituelle ", le sens que l'on donne à sa vie. Cette définition donne en outre de la santé, une vision positive ne ramenant pas celle-ci à l'absence de maladie diagnostiquée. En cela, elle démédicalise la santé. C'est aussi une définition exigeante et dynamisante, car elle fixe un objectif très ambitieux. Cependant une telle acception de la santé présente quelques inconvénients : elle pousse la démédicalisation très loin en insistant sur l'aspect purement subjectif de la santé. C'est le sujet et lui seul qui se dit ou non en bonne santé, puisque c'est son "bien-être" personnel qui définit la santé. Cette subjectivisation aboutit parfois à des incohérences. On peut se sentir en complet bien-être physique, psychique, social (et spirituel) et être atteint d'un début de cancer ; elle pousse l'exigence jusqu'à l'utopie. Le bien-être "complet" peut-il exister ? Comment pourrait-on le connaître, le mesurer ? Plus grave est le caractère "statique" de la définition. La santé est moins un état, avec la connotation inerte, voire végétative, que cela comporte, qu'un processus qui se déroule dans le temps.

René Dubos à complété la définition de l'OMS en insistant sur l'aspect adaptatif de la santé qui selon lui est "un état physique et mental, relativement exempt de gêne et de souffrance, qui permet à l'individu de fonctionner aussi efficacement et aussi longtemps que possible dans le milieu où le hasard ou le choix l'ont placé."

La vision de la notion de santé est entendue non seulement comme un état, mais comme une réalité dynamique, inscrite dans les pratiques et les discours de la société toute entière, une élaboration psychologique complexe où s'intègrent en une image signifiante l'expérience de chacun, les valeurs et les informations circulant dans la société.

Quel est le rapport de notre société avec la santé ?

Comme le concept lui-même, la relation de la société avec la notion de santé et de maladie est une construction sociale qui varie dans l'espace et dans le temps. Ainsi que le montrent anthropologues et sociologues (Foucault, Canguilhem, etc.), les interprétations et les pratiques sociales autour du normal et du pathologique, du sain et du malsain portent la marque des croyances et des idéologies. Dans la France d'aujourd'hui se superposent des visions cosmogoniques et religieuses de la maladie, malédiction divine ou au contraire rédemption par la souffrance, et des approches psychologisantes ou étroitement scientistes.

Le développement de la Sécurité Sociale, le progrès médical, la médiatisation ont modelé le rapport de la population à la santé : celle-ci est devenue une valeur (la santé a remplacé le salut), une norme (" c'est pas normal d'être malade "), un droit à être non seulement soigné, mais guéri ; droit à la sécurité (tout accident financièrement réparé), droit à l'enfant (parfait de surcroît), etc. Mais la diffusion des connaissances médicales, la démocratisation des soins, les progrès du consumérisme ont aussi développé la prise de responsabilité et l'implication des malades dans leur traitement (regroupement des malades en associations, etc.).

L'évolution de la sphère privée (c'est au niveau du corps que la santé se vit ; c'est autour du colloque singulier qu'est bâti le système soins biomédical curatif) au domaine public est apparue dans cette fin de siècle. La santé physique d'un individu dépend aussi de la santé des autres (phénomènes de contagion) et d'un environnement sain ; met en jeu le rapport des individus à la société (notamment en termes d'adaptation, d'insertion et de réseaux d'entraide) et mobilise des représentations sociales. Le champ collectif à une large place.

Le modèle de soins biomédicaux ne joue qu'un rôle limité sur le niveau de la mortalité : il n'explique qu'entre 10 et 20 % des progrès accomplis dans ce domaine depuis les années 1950. Même s'il permet dans une certaine limite de retarder l'entrée en incapacité, de diminuer la gravité des déficiences et de protéger la qualité de la vie, son rôle dans "la santé" est surdéterminé. Une bonne politique de santé ne consistera pas nécessairement à renforcer le système de soins, d'autres actions extérieures au système sanitaire proprement dit peuvent avoir un effet plus efficace sur la santé. Ainsi ce sont les collecteurs d'égouts et le lavage des mains qui ont éradiqué la typhoïde...

Une vision holistique de la santé

La santé doit être envisagée dans une vision globale de l'être humain considéré comme un tout en osmose avec son environnement. Face à l'expérience, chaque énoncé scientifique est tributaire du domaine tout entier dans lequel il apparaît. Cette notion est loin d'être nouvelle, elle est contenue notamment dans le concept oriental du Yin et du Yang : on soigne une personne malade, pas seulement l'organe malade. Pour M. Newman (M. Newman : Theory development in nursing, Philadelphia FA Davis 1979), la vision holistique de la santé se résume en six points :

1. Tout d'abord la santé comprend des états longtemps décrits en termes de pathologie (ex : un diabétique qui a acquis la connaissance de sa maladie et qui arrive à la gérer sera considéré en santé) ;

2. La plupart des états pathologiques peuvent être considérés comme des manifestations de la manière d'être au monde d'une personne (influence du stress, du deuil, de l'absence de communication) ;

3. La manière d'être au monde de la personne, qui se manifeste finalement en tant que pathologie, existait avant le changement fonctionnel ou structurel appelé maladie ;

4. La disparition de la maladie ne détermine pas nécessairement un changement dans la manière d'exister de la personne. La maladie est un message qui "prévient" de la nocivité de son comportement ;

5. Il se peut que, "être malade", représente pour la personne la seule manière d'être au monde et de faire le point ;

6. La santé est le cheminement vers une augmentation de l'état de conscience, de lucidité d'harmonie avec soi, avec les autres et avec la société dans laquelle la personne vit.

La "qualité de la vie" a tendance à remplacer la notion de "bonne santé"

" La qualité de vie, sous l'angle individuel, c'est ce qu'on se souhaite au nouvel an : non pas la simple survie, mais ce qui fait la vie bonne (santé, amour, succès, confort, jouissances) bref, le bonheur... " Cette définition d'Anne Fagot-Largeault (1991) est à l'image de l'évolution des sociétés occidentales. La majorité des populations d'Europe et d'Amérique ont dépassé le problème de la faim et de nouveaux besoins passent au premier plan.

La qualité de vie n'est pas seulement composée de données mesurables par un observateur extérieur. Elle résulte d'un ensemble d'appréciations objectives (le nombre de journées passées au lit, le revenu alloué par la Sécurité sociale pendant la maladie) et de données subjectives (l'impact de la maladie sur l'entourage perçu par le malade, son besoin d'épanouissement personnel, ses attentes concernant son traitement). Seul le sujet peut estimer sa qualité de vie. Il n'y a aucun étalonnage possible en la matière, aucune norme, aucune standardisation.

L'OMS (1993) tente de donner une définition mondiale de la qualité de vie : "C'est la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement."

De "la bonne santé à tout prix", on est passé à une relativisation de l'état physique, mental et social des individus. Chaque maladie présente ses caractéristiques et donc ses conséquences sur la qualité de vie du patient qui en est atteint.

28 septembre 1996



A propos des auteurs

Avec à leur direction le Dr Lucien Mias, les soignants de l'Unité de Soins de Longue Durée d'Aussillon, concernés par la vie des personnes âgées handicapées en institution se sont attachés de 1988 à 1997, à faire émerger le "prendre soin" jusqu'alors noyé parmi les "soins" dits techniques. Leurs "recherches-actions" dans le domaine gérontologique les a conduit à proposer un concept de soins reposant sur des données de sciences humaines. Du concept a découlé une base de soins de la personne âgée, être bio-psycho-social. Sur cette base, des applications réalisables au quotidien ont été conçues avec peu de moyens, dans le cadre d'un management participatif.

La lecture du livre relatant notre approche, "Pour un art de vivre en Long séjour", a amené des soignants à venir voir sur place s'il y avait cohérence entre le discours et les pratiques. Venus de Nouméa, Tourcoing, Rennes, Nancy, Ajaccio... pour ne citer que les plus éloignés tous ont souhaité qu'un site soit consacré à la pratique du quotidien vécu afin de dialoguer à distance. Nous avons cherché un tel site... Ne l'ayant pas trouvé, le Dr Mias a créé en 1997 le site Géronto en Institution.

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