vendredi 12 février 2010

ÉDUQUER SANS FRAPPER

chercher à remonter l'histoire des punitions corporelles au fil des temps, c'est découvrir qu'il est très difficile d'établir la façon dont elles ont été réellement utilisées à l'intérieur des groupes familiaux. Les historiens nous offrent pourtant quantités de documents sur la vie familiale à travers les âges et les contrées, qu'il s'agisse de mettre en lumière les usages culinaires, vestimentaires, décoratifs, hygiéniques, érotiques ou autres pratiqués dans les familles. Les informations sont alors riches et les détails nombreux. Mais en ce qui concerne les châtiments corporels, les textes sont rares et d'une étonnante pauvreté. Il est beaucoup plus facile de trouver des précisions sur les châtiments physiques infligés à titre pénal par les institutions judiciaires, ou dans le cadre de divers types de scolarités, que d'obtenir des renseignements précis concernant ce qui se passait dans l'intimité des foyersQuelques auteurs, cependant, dont il faut souligner les mérites, ont réussi à recueillir ici ou là certains faits qui permettent, au-delà d'un tabou qui semble depuis toujours régner sur ce sujet, de repérer quelques données historiques ayant trait aux punitions corporelles (1 à 5).

Les vertus éducatives des coups semblent avoir été appréciées de façons très diverses suivant les pays et les époques concernées. Et si, dans les pays développés, on voit cette violence de l'éducation diminuer indiscutablement au cours des siècles, cela ne se fait que de façon lente et irrégulière avec, périodiquement, des retours en arrière.

Mais il est surtout intéressant de noter que, dans les contrées pour lesquelles il a été possible de recueillir suffisamment d'informations sur le sujet, la dureté des punitions données dans la famille, à l'école, et par les instances judiciaires, semble toujours évoluer de façon parallèle :

plus les sociétés sont despotiques et se maintiennent par la violence et plus les punitions corporelles sont fortes et utilisées à tous les niveaux (2).

À Rome

Le droit de vie et de mort sur ses fils était accordé au paterfamilias romain. Le dressage se faisait à l'aide de châtiments corporels dès que l'enfant était « en âge de comprendre » les réprimandes et les coups. À l'école, le maître utilisait couramment la férule. Parallèlement, les peines prononcées par les juges étaient corporelles et des plus agressives puisqu'on y trouvait la pendaison, la crucifixion, la noyade, la précipitation de la roche tarpéienne, le bûcher, l'emmurement, la jetée aux lions. Mais la mort pénale était subordonnée à la reconnaissance d'une faute répertoriée. Pour le fils, rien de tel depuis le pouvoir accordé par Romulus au paterfamilias de tuer son enfant, à vie, sans jugement et sans aucun chef d'accusation (outre la prison, les verges, les travaux forcés et la vente). Alors qu'il n'est pas fait mention d'un droit de mort sur l'esclave et sur la femme, non plus que sur les filles, il est intéressant de noter que seules les relations père/fils sont évoquées lorsqu'il s'agit de châtiments corporels, aussi bien dans les textes historiques que bibliques.

Ces règles prévalurent pendant plus de sept cents ans, jusqu'à ce qu'Auguste vînt les assouplir.

À Byzance

La période byzantine nous montre un père de famille maître de sa femme, de ses enfants et de ses employés. Il punissait ou pardonnait les fautes selon son bon vouloir et pouvait vendre en esclavage épouse et enfants, ou bien louer leurs services. Il fouettait le fils désobéissant, ou l'immobilisait dans une entrave en cuivre. Mais il ne semble pas avoir exercé sur lui de droit de mort, et si des mutilations corporelles pouvaient sanctionner une faute (main coupée pour un vol, verge coupée pour la pédérastie, nez coupé pour viol ou adultère, pied coupé pour l'esclave en fuite, langue coupée pour le politique défaillant…), elles étaient en général le fait de la justice d'état.

En France

Chez les Francs de la période carolingienne, le père n'est autorisé qu'à faire emprisonner ses enfants fautifs, et doit, à la maison, utiliser « des corrections pas furieuses mais fréquentes ».

L'adoucissement des mœurs se poursuit au cours du Moyen Âge, une certaine mansuétude se fait jour, l'enfant est présenté comme un être précieux… mais encore sans esprit ! L'éducation idéale doit utiliser avant tout la parole et l'exemple. Les parents peuvent avoir recours aux châtiments corporels, mais tous les traités d'éducation recommandent de n'y recourir qu'en dernière extrémité et plaident pour une grande modération des coups.

Puis, en un brusque retour en arrière, à partir du XVe siècle, une vie disciplinaire de plus en plus rigoureuse va se développer dans les collèges, pendant que dans la société, les peines corporelles vont remplacer peu à peu les amendes. Au XVIe siècle, en droit pénal, on utilise le fouet pour punir une grande majorité des délits, à tous les âges. Parallèlement, à la maison, la punition corporelle se généralise, et au XVIIe siècle, on inflige le fouet ou la prison aux enfants comme aux condamnés. En même temps que les châtiments corporels se développent, l'utilisation des armes se répand « au XVIIe siècle, les écoliers étaient armés … dès cinq ans on pouvait porter l'épée » (2). Ce parallélisme noté entre la fréquence de l'utilisation des armes, l'importance des châtiments corporels utilisés (dans les familles, les écoles et le droit pénal) vient de faire l'objet de plusieurs travaux scientifiques aux USA, nous y reviendrons.

Le désir d'humilier et d'asservir l'enfant va s'atténuer au cours du XVIIIe siècle, mais rien ne vient sanctionner les abus de pouvoir des parents, quel que soit le degré de la maltraitance prodiguée. En France, il faudra attendre 1889 pour que soit votée la première loi rendant possible la déchéance paternelle en cas de trop mauvais traitements.

En Angleterre

Battre son enfant serait recommandé par la Bible. La reine Victoria, qui le croyait fermement, fit en son temps très largement diffuser la sentence « spare the rod and spoil the child » qu'elle attribuait à Salomon, alors qu'elle était en fait de Bernard Shaw, et qu'elle reste toujours très largement en usage en Angleterre et toujours attribuée à Salomon. C'est dans cette période victorienne que la Grande Bretagne a vu se développer une véritable « flagellomanie » qui persistera longtemps après (6).

La femme d'un clergyman faisait profession de fesser les filles difficiles, elle prenait deux guinées par séance et vendait ses fouets spéciaux par correspondance (en 1973, les fouets s'acheminaient toujours par la poste, ils étaient encore fréquemment demandés par les familles et les écoles, mais dans les classes élevées de la bourgeoisie, on demandait qu'ils soient livrés dans le secret).

Churchill fut retiré de la « Saint George's preparation school » lorsqu'il apparut évident qu'il y recevait des coups brutaux : « combien je hais cette école et quelle vie d'anxiété j'y ai vécue pendant plus de deux années » dira-t-il beaucoup plus tard.

Le « Times » fit à plusieurs reprises des campagnes contre les châtiments abusifs utilisés dans les écoles. En 1854, un enfant ayant nécessité des soins médicaux après 31 coups de fouet, la polémique fut vive et le plus ardent défenseur de ces sévices fut un médecin. En 1877, après le suicide par pendaison d'un garçon de 12 ans qui venait d'être sévèrement battu, nouvelle polémique. En 1911, on débat aux Communes sur les punitions qui marquent de traces indélébiles les jeunes gens auxquelles elles sont appliquées (6).

En 1977, le Directeur de la prestigieuse école d'Eton affirme que les aînés n'ont plus le droit de battre les plus jeunes, mais que le Directeur, le Sous-Directeur et la Maîtresse de Maison utilisent toujours le fouet « mais sans dénuder les garçons » (6). N'y aurait-il pas lieu de faire quelque rapprochement entre le hooliganisme anglais et la brutalité de l'éducation reçue par un grand nombre de jeunes sujets de sa Majesté ?

Les punitions corporelles ne sont interdites en Angleterre dans les écoles publiques que depuis 1986. Elles viennent de l'être en 1999 dans les écoles privées, où la résistance reste grande.

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