mercredi 24 février 2010

La beauté passagère

La considération de notre nature n'est pas seulement utile contre l'orgueil; quelque passion qui nous tourmente, que ce soit l'amour des richesses, ou l'amour déréglé des jouissances corporelles, elle sera apaisée par cette considération. Êtes-vous frappé d'une belle femme, aux yeux pétillants et vifs, aux joues éclatantes, au visage resplendissant d'une remarquable beauté, sentez-vous à cette vue votre âme s'enflammer, les sens se réveiller; songez que l'objet de votre admiration n'est qu'un peu de terre, que l'objet de votre flamme n'est qu'un peu de cendre, et vous cesserez d'éprouver ces transports insensés : ôtez de son visage le voile de sa peau, et vous verrez ce qu'il y a de repoussant sous cette beauté apparente : ne vous arrêtez pas à la superficie, examinez par la pensée ce qu'elle recouvre, et vous n'y trouverez que des os, des nerfs et des veines
N'est-ce point assez ? Représentez-vous alors cette femme quand elle sera changée; représentez-vous la sous le coup de la vieillesse, de la maladie, les yeux enfoncés, les joues caves, et toute cette fleur de beauté évanouie; rappelez-vous alors ce que vous admiriez, et vous aurez honte de votre jugement; car ce que vous admiriez n'est que cendre et que fange; et vous vous embrasiez pour un peu de cendre et de poussière. Je ne parle pas de la sorte pour flétrir la nature humaine; loin de moi cette pensée; ce que je veux, ce n'est pas la déprécier et la rabaisser, mais préparer au malade un remède. En fanant ainsi notre nature, en la faisant si misérable, Dieu à voulu montrer en même temps et sa Puissance et sa Providence envers nous; tandis que par la considération de notre misère Il nous ramène à l'humilité, et réprime nos convoitises, Il nous donne une idée de sa Sagesse qui a pu tirer d'un peu d'argile tant de beauté. De la sorte, c'est en montrant ce qu'il y a de vil en l'homme que je mets à découvert l'habilité de son Auteur. De même, en effet, que nous admirons moins l'artiste pour une magnifique statue d'or, que pour une statue d'une beauté parfaite façonnée par lui avec un peu d'argile; de même nous admirons et nous glorifions surtout l'Artiste divin lorsque nous Le voyons imprimer à un peu de fange et de poussière une ineffable beauté, à nos corps le cachet de son infinie Sagesse.

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