vendredi 6 juillet 2012

Une famille en promenade



     La veille de ce beau jour de printemps, El Hadj Mohammed annonça à sa femme, Latifa, qu’il l’emmènerait le lendemain à Sidi Harazem, elle et toute la famille.
La maisonnée exulte de joie et commence ses préparatifs cette promenade, depuis longtemps désirée. Que de chose à emporter ! Car avant le bain, on compte faire un bon repas, et prendre le thé. Comment s’installera-t-on à l’abri du soleil et des regards indiscrets ?
        Les discussions se prolongent. Que faut-il prendre ou ne pas prendre ? Qu’achètera-t-on là-bas ? Il est difficile aussi de se mettre d’accord pour désigner celle qui gardera la maison. Toutes veulent être de la promenade.
C’est le moment du départ ! Toutes se rendront au pèlerinage ! El Hadj Mohammed y a consenti : le logis restera vide.
Voici la famille en route vers Bab Ftouh, porte lointaine où stationnent les cars de Sidi Harazem. Les rues étroites sont encombrées de bêtes de somme, qui se frayent brutalement un passage à travers une foule affairée. La caravane familiale serpente lentement.
        En tête, la maîtresse de maison, Lalla Latifa, et sa sœur ; à leur suite, traînant un peu les jambes, la veille mère, Lalla Zohra ; ces trois Lallas portant de nombreux paquets.
        Derrière elles viennent Yamine, la fille aînée de Lalla Latifa, et sa cousine Fatima, toutes deux âgées d’une quinzaine d’années ; elles ne se sont embarrassées de rien, craignant de gêner leur démarche gracieuse. Puis, voici les deux petites sœurs de Yamine, ayant dans les mains divers menus objets ; ensuite la servante Rhita, surchargée de deux gros ballots. Le frère aîné, le jeune Abdelhakim, d’environ dix-huit ans, ferme la marche en compagnie de son petit frère Ali, tous les deux les mains libres.
        Quand à El Hadj Mohammed, il a pris les devants ; on le retrouvera à Bab Ftouh.
          En arrivant près de la mosquée de Moulay Idris, on s’aperçoit que quelques petits objets ont été oubliés. Oh ! Pas grand’ chose ! Le caleçon pour le petit Ali, un peigne, les tiges de fer pour les brochettes de viande, et aussi une bouteille vide pour rapporter de l’eau des sources bénies. On envoie la servante Rhita chercher tout cela et ces dames l’attendent, accroupies par terre, près d’une des portes du sanctuaire. Et après quelques incidents de moindre importance, tout le monde arrive enfin à Bab Ftouh, où l’on retrouve El Hadj Mohammed.
         Trois cars sont en partance pour Sidi Harazem ; tous les trois pleins à craquer. Heureusement, en voici un quatrième ! Son chauffeur descend et se met à crier : «  En voiture pour Sidi Harazem ! En voiture ! Cinq francs ! Cinq francs ! » Aussitôt tous les voyageurs qui étaient montés pour six francs, dans les cars précédents, en descendent et se précipitent à l’assaut du nouvel arrivé… Mais les employés des cars à six francs ne perdent pas la tête pour si peu, et se mettent à crier à leur tour : «  En voiture, Sidi Harazem, quatre francs cinquante ! Quatre francs cinquante ! » Et la foule monte, descend et remonte…

                                                                    PIERRE PELINE
                                                       Les deux femmes de Moulay Ali

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