A la brune, Nonot frappe à la porte de sa grande mère Nanée
Sornin, qui habite seule dans un hameau de la vallée. Il entre ; la veille
femme est recroquevillée au coin du feu.
C’est encore toi, petit brigand, dit-elle. Ta mère te battra
et elle aura raison. Tu as encore manqué la classe…
__ Bonne maman, je me suis bien amusé… Je voulais aller en
classe, mais j’ai cassé des tuiles sur le toit, et j’ai eu peur et je suis
parti…
__ Prends du bouillon chaud, je parie que tu es gelé, mon
pauvre petit…
__ Bonne maman, je n’ai pas faim… J’ai mangé un oiseau…
Elle sourit et lui caresse les cheveux avec ses vieilles
mains où les veines fons de petites cordes qui attachent d’anciennes douleurs. A
ce moment, la mère Sornin entre sans frapper.
__ Il est là, crie-t-elle. Ce chenapan. J’en suis malade. Je
devrais le tuer…
__ Tu ne feras pas ça, ma fille … le pauvre petit a eu peur…
__ Je ne suis pas contente. Tout l’été dernier, vous l’avez
défendu contre moi, sa mère… Vous le gâtez… Il ne me craint plus …
Nanot s’est réfugié derrière sa grande mère.
__ Il faut pourtant que ça finisse, dit la mère Sornin. Il n’est
pas plus bête qu’un autre et il ne sait même pas : « Maître Corbeau
sur un arbre perché… »
Alors la grande mère se tourne vers Nanot et soupire et
gronde :
__ Tu ne sais pas : « maître corbeau sur un
arbre perché… » ? Ce n’est pas possible ?... A ton âge, je
savais toute la fable et je me la rappelle encore. Oh ! Je suis bien
malheureuse d’avoir un petit-fils comme ça… Que tu ne saches pas compter sur le
bout du doigt, ça passe encore, mais ne pas savoir : « Maître
Corbeau » et la « Cigale ayant chanté »… Ce n’est pas possible. Je
te fermerai ma porte. Je croyais que tu étais trop savant et que tu pouvais te
payer des vacances… Oh ! Que tu as les oreilles longues, mon ami.
Nonot est rouge de honte ; c’est la première fois que
sa grande mère lui parle avec sévérité, et même elle se met à pleurer, car il
est muet comme une carpe.
__ Laisse-moi le gifler, s’écrie la mère Sornin.
__ Non, ma fille. Que lui donnerait le pardon, si ce n’est
moi ?... Approche-toi Nonot… Moi
qui croyais que tu étais trop savant.
__ Bonne maman, il ne faut plus pleurer, dit Nonot.
__ Je ne veux plus te voir avant que tu puisses me lire des
histoires… Il faudra que tu me dises sans faute : « Le chêne et
le roseau… » Sans ça, tu ne seras plus mon petit-fils. Je ne veux pas d’un
garçon qui soit plus bête que mon âne. Et toi, ma fille, ne le bats pas…
Allez-vous en, tous les deux !...
… Depuis quelques mois, le maître d’école trouve que Nonot a
fait beaucoup de progrès….
CH. Silvestre
Pleine terre
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