vendredi 6 juillet 2012

Une bonne grande mère



     A la brune, Nonot frappe à la porte de sa grande mère Nanée Sornin, qui habite seule dans un hameau de la vallée. Il entre ; la veille femme est recroquevillée au coin du feu.
C’est encore toi, petit brigand, dit-elle. Ta mère te battra et elle aura raison. Tu as encore manqué la classe…
__ Bonne maman, je me suis bien amusé… Je voulais aller en classe, mais j’ai cassé des tuiles sur le toit, et j’ai eu peur et je suis parti…
__ Prends du bouillon chaud, je parie que tu es gelé, mon pauvre petit…
__ Bonne maman, je n’ai pas faim… J’ai mangé un oiseau…
Elle sourit et lui caresse les cheveux avec ses vieilles mains où les veines fons de petites cordes qui attachent d’anciennes douleurs. A ce moment, la mère Sornin entre sans frapper.
__ Il est là, crie-t-elle. Ce chenapan. J’en suis malade. Je devrais le tuer…
__ Tu ne feras pas ça, ma fille … le pauvre petit a eu peur…
__ Je ne suis pas contente. Tout l’été dernier, vous l’avez défendu contre moi, sa mère… Vous le gâtez… Il ne me craint plus …
Nanot s’est réfugié derrière sa grande mère.
__ Il faut pourtant que ça finisse, dit la mère Sornin. Il n’est pas plus bête qu’un autre et il ne sait même pas : « Maître Corbeau sur un arbre perché… »
Alors la grande mère se tourne vers Nanot et soupire et gronde :
__ Tu ne sais pas : «  maître corbeau sur un arbre perché… » ? Ce n’est pas possible ?... A ton âge, je savais toute la fable et je me la rappelle encore. Oh ! Je suis bien malheureuse d’avoir un petit-fils comme ça… Que tu ne saches pas compter sur le bout du doigt, ça passe encore, mais ne pas savoir : «  Maître Corbeau » et la « Cigale ayant chanté »… Ce n’est pas possible. Je te fermerai ma porte. Je croyais que tu étais trop savant et que tu pouvais te payer des vacances… Oh ! Que tu as les oreilles longues, mon ami.
Nonot est rouge de honte ; c’est la première fois que sa grande mère lui parle avec sévérité, et même elle se met à pleurer, car il est muet comme une carpe.
__ Laisse-moi le gifler, s’écrie la mère Sornin.
__ Non, ma fille. Que lui donnerait le pardon, si ce n’est moi ?... Approche-toi Nonot…  Moi qui croyais que tu étais trop savant.
__ Bonne maman, il ne faut plus pleurer, dit Nonot.
__ Je ne veux plus te voir avant que tu puisses me lire des histoires… Il faudra que tu me dises sans faute : «  Le chêne et le roseau… » Sans ça, tu ne seras plus mon petit-fils. Je ne veux pas d’un garçon qui soit plus bête que mon âne. Et toi, ma fille, ne le bats pas… Allez-vous en, tous les deux !...
… Depuis quelques mois, le maître d’école trouve que Nonot a fait beaucoup de progrès….

                                                                                  CH. Silvestre
                                                                          Pleine terre

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