vendredi 6 juillet 2012

LE DEPART DU PERE



      Ayant mis tout son argent un mouchoir, le père l’a perdu. Il va alors travailler comme moissonneur aux environs de Fès.
   Mon père nous quitta le surlendemain à l’aube. Il partit, avec pour tout bagage, une sacoche de berger en palmier nain dont il avait fait l’acquisition la veille, faucille neuve et un sac en toile …. Ma mère lui fit quelques recommandations et resta après son départ, prostrée sur son lit, le visage caché dans ses deux mains. J’eus la sensation que nous étions abandonnés, que nous étions devenus orphelins…
Pour ma mère et moi, mon père représentait la force, l’aventure, la sécurité, la paix. Il n’avait jamais quitté la maison ; les circonstances qui l’obligeaient ainsi à le faire prenaient dans notre imagination une figure hideuse.
_ Maman, dis-je, est-ce que c’est long un mois ?
Ma mère se secoua de sa torpeur, regarda à droite, puis à gauche comme pour reconnaître l’endroit où elle se trouvait et me fixa avec des yeux étonnés.
_ As-tu parlé, Sidi Mohammed ?
_ Oui, maman ; je te demande si un mois est long.
_ un mois dure un mois, mon fils, mais pour nous, le mois à venir sera une éternité.
_ Je sais attendre ; toi, tu ne sais pas encore, ou, plutôt, tu l’as su autrefois mais tu as dû l’oublier.
Ma mère parut abasourdie par cette réflexion.
_ Qu’est-ce que tu attends ?
_ J’attends d’être un homme. Toi, tu n’attends plus rien puisque tu es une grande personne.
Je me tus un moment avant d’ajouter :
_ Quand tu étais une petite fille, tu ne pouvais pas faire tout ce que tu voulais, tu a attendu d’être une femme pour réaliser tes projets, acheter les vêtements dont tu avais envie, sortir avec LALLA AICHA ton amie, préparer les plats que tu aimais manger. Moi, je mange ce que tu me donne, je ne sors jamais seul, je porte souvent des chemises qui ne sont pas à ma taille.
L’étonnement de ma mère grandissait. Elle ne savait quoi me répondre ; elle me considérait avec curiosité.
Calmement je murmurai :
_ Quand je serai un homme, je porterai de belles jellabas blanches qui seront lavées tous les jours, je mangerai tous les matins au moins une livre de beignets très chauds avec beaucoup de beurre, parfois avec du miel. J’aurai quarante chats qui m’obéiront toujours. Ils ne feront jamais de saletés dans les coins. D’ailleurs, nous habiterons une autre maison avec un bigaradier dans la cour.
Un sourire éclaira le visage de ma mère.
_ Jamais ta femme n’acceptera de veiller sur ton troupeau de chats.
_ Je ne me marierai pas, toi, tu aimes les chats, tu pourras t’en occuper.
Elle éclata franchement de rire. Sa gaîté soudain me rendit toute ma confiance. Je ris plus fort qu’elle ; je battis des mains. Ma mère mit son index sur les lèvres et me dit :
_ Que diraient les voisins s’ils t’entendaient rire de la sorte le jour du départ de ton père ?
_ Mon père reviendra bientôt et nous serons de nouveau très riches.
_ Mais nous n’avons pas faim ; et notre chambre n’est elle pas la plus jolie de la maison ?
_ Repose-toi mon petit ; tant que je serai vivante, tu n’auras jamais faim, dussé-je mendier.

      
                                                                      AHMED SEFRIOUI 

                                                                La boîte à merveilles

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire