Ayant mis
tout son argent un mouchoir, le père l’a perdu. Il va alors travailler comme
moissonneur aux environs de Fès.
Mon père
nous quitta le surlendemain à l’aube. Il partit, avec pour tout bagage, une
sacoche de berger en palmier nain dont il avait fait l’acquisition la veille, faucille
neuve et un sac en toile …. Ma mère lui fit quelques recommandations et resta
après son départ, prostrée sur son lit, le visage caché dans ses deux mains. J’eus
la sensation que nous étions abandonnés, que nous étions devenus orphelins…
Pour ma mère
et moi, mon père représentait la force, l’aventure, la sécurité, la paix. Il n’avait
jamais quitté la maison ; les circonstances qui l’obligeaient ainsi à le
faire prenaient dans notre imagination une figure hideuse.
_ Maman,
dis-je, est-ce que c’est long un mois ?
Ma mère se
secoua de sa torpeur, regarda à droite, puis à gauche comme pour reconnaître l’endroit
où elle se trouvait et me fixa avec des yeux étonnés.
_ As-tu
parlé, Sidi Mohammed ?
_ Oui, maman ;
je te demande si un mois est long.
_ un mois
dure un mois, mon fils, mais pour nous, le mois à venir sera une éternité.
_ Je sais attendre ;
toi, tu ne sais pas encore, ou, plutôt, tu l’as su autrefois mais tu as dû l’oublier.
Ma mère
parut abasourdie par cette réflexion.
_ Qu’est-ce
que tu attends ?
_ J’attends
d’être un homme. Toi, tu n’attends plus rien puisque tu es une grande personne.
Je me tus un
moment avant d’ajouter :
_ Quand tu
étais une petite fille, tu ne pouvais pas faire tout ce que tu voulais, tu a
attendu d’être une femme pour réaliser tes projets, acheter les vêtements dont
tu avais envie, sortir avec LALLA AICHA ton amie, préparer les plats que tu
aimais manger. Moi, je mange ce que tu me donne, je ne sors jamais seul, je
porte souvent des chemises qui ne sont pas à ma taille.
L’étonnement
de ma mère grandissait. Elle ne savait quoi me répondre ; elle me
considérait avec curiosité.
Calmement je
murmurai :
_ Quand je
serai un homme, je porterai de belles jellabas blanches qui seront lavées tous
les jours, je mangerai tous les matins au moins une livre de beignets très
chauds avec beaucoup de beurre, parfois avec du miel. J’aurai quarante chats qui
m’obéiront toujours. Ils ne feront jamais de saletés dans les coins. D’ailleurs,
nous habiterons une autre maison avec un bigaradier dans la cour.
Un sourire
éclaira le visage de ma mère.
_ Jamais ta
femme n’acceptera de veiller sur ton troupeau de chats.
_ Je ne me
marierai pas, toi, tu aimes les chats, tu pourras t’en occuper.
Elle éclata
franchement de rire. Sa gaîté soudain me rendit toute ma confiance. Je ris plus
fort qu’elle ; je battis des mains. Ma mère mit son index sur les lèvres
et me dit :
_ Que
diraient les voisins s’ils t’entendaient rire de la sorte le jour du départ de
ton père ?
_ Mon père
reviendra bientôt et nous serons de nouveau très riches.
_ Mais nous
n’avons pas faim ; et notre chambre n’est elle pas la plus jolie de la
maison ?
_ Repose-toi
mon petit ; tant que je serai vivante, tu n’auras jamais faim, dussé-je
mendier.
AHMED SEFRIOUI
La boîte à merveilles
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