vendredi 6 juillet 2012

Les peurs de Christophe



   Christophe a peur d’une infinité de choses … ; il redoute la porte du grenier. Elle donne sur l’escalier, et est presque toujours entrebâillée. Quand il doit passer devant, il sent son cœur battre ; il prend son élan, et saute sans regarder. Il lui semble qu’il y a quelqu’un ou quelque chose derrière. Les jours où elle est fermée, il entend distinctement par la chatière entr’ouverte remuer derrière la porte. Ce n’est pas étonnant, car il y a de gros rats ; mais il imagine un être monstrueux, des os cheval, des yeux qui font mourir… IL ne veut pas y penser et y pense malgré lui. Il s’assure d’une main tremblante que le loquet est bien mis : ce qui ne l’empêche pas de se retourner dix fois, en descendant les marches.
       Christophe se sent à l’abri dans sa chambre.
   Il est assit dans le grand fauteuil, près de la ville, lasses et endormis, sonnent l’angélus du soir…
Brusquement, Christophe se réveille, pris d’une sourde inquiétude. Il lève les yeux : la nuit. Il écoute : le silence. Grand-père vient de sortir. Il a un frisson. Il se penche à la fenêtre, pour tâcher de le voir encore : la route est déserte ; les choses commencent à prendre un visage menaçant. Dieu ! si elle allait venir ?
_ Qui ?
Il ne saurait le dire….
    Les portes ferment mal. L’escalier de bois craque comme sous un pas. L’enfant bondit, traîne le fauteuil, les deux chaises et la table au coin le plus abrité de la chambre ; il en forme une barrière : le fauteuil, adossé au mur, une chaise à droite, une chaise à gauche, et la table par devant. Au milieu, il installe un double échelle, et se juche sur le sommet, avec son livre et quelques autres volumes pour les lancer en cas de siège.
   Alors il respire, décidant que l’ennemi ne peut, en aucun cas, travers la barrière : ce n’est pas permis.

                                             ROMAIN ROLLAND  
                                    ( Jean Christophe ; Albin Michel, édit)


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