Christophe a
peur d’une infinité de choses … ; il redoute la porte du grenier. Elle
donne sur l’escalier, et est presque toujours entrebâillée. Quand il doit
passer devant, il sent son cœur battre ; il prend son élan, et saute sans
regarder. Il lui semble qu’il y a quelqu’un ou quelque chose derrière. Les jours
où elle est fermée, il entend distinctement par la chatière entr’ouverte remuer
derrière la porte. Ce n’est pas étonnant, car il y a de gros rats ; mais
il imagine un être monstrueux, des os cheval, des yeux qui font mourir… IL ne
veut pas y penser et y pense malgré lui. Il s’assure d’une main tremblante que
le loquet est bien mis : ce qui ne l’empêche pas de se retourner dix fois,
en descendant les marches.
Christophe se sent à l’abri dans sa chambre.
Il est assit
dans le grand fauteuil, près de la ville, lasses et endormis, sonnent l’angélus
du soir…
Brusquement,
Christophe se réveille, pris d’une sourde inquiétude. Il lève les yeux :
la nuit. Il écoute : le silence. Grand-père vient de sortir. Il a un
frisson. Il se penche à la fenêtre, pour tâcher de le voir encore : la
route est déserte ; les choses commencent à prendre un visage menaçant.
Dieu ! si elle allait venir ?
_ Qui ?
Il ne
saurait le dire….
Les portes
ferment mal. L’escalier de bois craque comme sous un pas. L’enfant bondit,
traîne le fauteuil, les deux chaises et la table au coin le plus abrité de la
chambre ; il en forme une barrière : le fauteuil, adossé au mur, une
chaise à droite, une chaise à gauche, et la table par devant. Au milieu, il
installe un double échelle, et se juche sur le sommet, avec son livre et
quelques autres volumes pour les lancer en cas de siège.
Alors il
respire, décidant que l’ennemi ne peut, en aucun cas, travers la barrière :
ce n’est pas permis.
ROMAIN ROLLAND
( Jean Christophe ; Albin Michel, édit)
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