… Dans la nuit, le froid tardif fit son apparition. Le vent
se leva avant la lune et commença à balayer les plateaux, rompant les branches
aux oliviers, bousculant les Zéribas, derrière lesquelles s’abritaient les
troupeaux apeurés, gelant dans les jardins les fèves imprudentes qui avaient
osé fleurir. Il amena des nuages qui s’épinglèrent aux sommets et bouchèrent l’espace ;
puis les grands souffles s’évanouirent après avoir fait leur office et l’hiver
régna.
On ne vit point paraître le soleil ; il fallut rentrer
précipitamment sous les abris couverts les moutons et les chèvres. Beaucoup d’agneaux,
en cette nuit cruelle, avaient péri.
Vers le milieu de la matinée, la neige tomba.
Ce furent d’abord des papillons blancs, frêles et rares ;
puis leur chute s’accéléra ; ils tourbillonnèrent tellement pressés qu’in
ne distingua plus rien à travers leurs colonnes claires, et les hommes bien
encapuchonnés montèrent sur les terrasses pour les dégager de cette dangereuse
surcharge à grands coups de pelles de bois.
Les femmes comprirent que le temps de filer la laine, de la
teindre et de dresser les grands métiers était venu. Enfermées dans leurs
maisons réchauffées de feux de broussailles, elles tisseraient des tapis et s’imagineraient
faire renaître le printemps en émaillant la trame de toutes les couleurs des
bouquets.
Elles tirèrent des coffres leurs grosses guêtres de laine
garnies de motifs aux menaces vives et leurs manteaux rayés, ornés de houppes
et de franges.
Le lendemain tout était blanc : sommets, pentes,
plateaux, ravines… Les hommes se réunirent chez le Chirk, dans la salle
plafonnée de troncs de palmier. Les approvisionnements d’herbe sèche-seraient
vite épuise, et comme chaque année, il fallait envisager le grave problème de
la transhumance.
Le thé fut apporté… Dans le fond sombre de la salle,
quelques femmes, comme toujours admises quand on devait discuter une affaire d’intérêt
vital pour le village ou la tribu, écoutaient les délibérations.
On échangeait des propos sur le temps, sur la façon brusque
dont l’hiver était arrivé, et l’on se lamenta sur les fèves gelées et les
arbres abîmés par l’ouragan de la veille.
Enfin un vieillard vénérable, ratatiné comme une arbouse
sèche, entama le vif de la question :
__ Si la neige continue, ô Chirk, dit-il en élevant son
index noueux pour attirer l’attention de tous, si la neige continue, il se
passera des jours avant que nous puissions ramener nos troupeaux aux pâturages
voisins. La paille et le foin ne dureront pas tout l’hiver. As-tu prévu l’endroit
où nous pourrons envoyer nos bêtes, afin qu’elles trouvent de l’herbe à manger ?...
__ Je compte profiter de la première éclaircie pour envoyer
en plaine tous les troupeaux du village….
MARIE Barrère-Affre
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